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Critique de roquentin


Que dire de cette oeuvre du grand George O ?
Que cette fois, il ne nous entraîne pas dans de l'hyper fiction comme dans La Ferme ... ou dans 1984, qui sont finalement des contes (majeurs évidemment)...
Ici, on a à faire au militant socialiste dans un pamphlet tout aussi visionnaire que ses deux grandes oeuvres de référence. Et tout aussi percutant, que l'on soit soi-même socialiste ou non. Mais en même temps, il se contente de démontrer. Mais les vérités qu'il énonce n'ont pas besoin de davantage de puissance de conviction. Ce qu'il démontre se suffit à lui seul...
En 1937, peu avant d'aller combattre en Espagne aux côtés des forces républicaines, Orwell se rend à Wigan, petite ville coincée entre Manchester et Liverpool. Il s'immerge dans la vie des mineurs de fond locaux, afin de réaliser un un reportage sur leur existence, sans toutefois travailler à leurs côtés.
Il découvre leur quotidien et nous en fait part, de brillante façon. Cette population n'est pas à la fête tous les jours, c'est le moins que l'on puisse dire. Quand on a la chance de ne pas être chômeur, des journées entières accroupis ou le dos courbé, à extraire du charbon à quatre cent mètres sous terre, dans des veines horizontales parfois éloignées de un ou deux kilomètres des ascenseurs (enfin, des cages à bestiaux défiant les lois de l'inertie et de la gravité ...).
Tous cela en espérant ne pas être blessé par ce travail dangereux, de contracter une maladie. Car évidemment, les assurances ne sont pas là pour faire le moindre cadeau.
Leurs maisons accolées aux puits ou aux terrils, noires et misérables, où les enfants doivent souvent partager les même lits, où il n'y a pas toujours d'eau courante et qui bougent au gré des exploitations sous terraines, les portes ne fermant plus au bout de quelques années...
Malgré ces conditions très compliquées, les ouvriers ne se plaignent jamais et ne voudraient échanger leur vie contre aucune autre. C'est une des forces du livre: Orwell expose, juge à peine et n'exige aucune commisération, ne pousse pas les mineurs à la révolte, ni le lecteur à construire des barricades.
Ceci couvre la première partie du livre. Dans la seconde, il fait présente le socialisme comme seule alternative salutaire, sans exalter le modèle soviétique, dont en ‘37, le monde n'a pas encore découvert les inepties et les atrocités...
Dans cette deuxième partie, il nous entraîne dans un incontournable essai politique. ....Devant lequel j'étais sceptique, car la littérature ne peut pas devenir du prosélytisme ou de la propagande. Mais encore une fois, la maestra et la lucidité éclairante de George Orwell évitent ce piège et nous ouvrent les yeux, comme s'il le fallait encore, sur le socle ignominieux qui a servi à la construction de notre monde actuel.
Il expose aussi les différentes strates de cette société anglaise encore fière de son Empire et qui ne s'imagine pas encore que dix ans plus tard, l'Inde et toutes les possessions de l'Orient deviendront indépendantes. Orwell se penche particulièrement sur cette classe moyenne, à cette époque déjà subdivisée entre inférieure et supérieure et des propensions supposées de passer de l'une à l'autre. Il n'a cependant pas prévu que cette classe ouvrière disparaîtrait avec celle qui sera son fossoyeur, cinquante ans plus tard: Miss Maggie Thatcher et ses émules. Hygiène, éducation et richesse empêcheront toujours à la classe ouvrière d'accéder au niveau de la classe moyenne. Et cette classe ouvrière y a d'ailleurs renoncé à jamais. Il taille aussi en pièces, de manière jouissive, ces intellectuels de gauche qui exaltent les ouvriers, mais qui ont peur de s'avilir dans les pubs le samedi soir, car ça y gueule un peu et ça se bouscule à l'occasion. C'est une manière subtile de faire la différence entre le socialisme et ceux prétendent le promouvoir à partir de leurs écrits pompeux produits dans leur salon. C'est d'ailleurs ce que l'on reproche aux mêmes cuistres d'aujourd'hui.
Quant à moi, déjà pétri de doutes en lisant les méfaits du colonialisme, et avec lequel je n'ai pas fini, me voilà définitivement dégoûté de notre civilisation, dont je suis pourtant un rouage et dont ma classe sociale est une pierre angulaire vénéneuse... mais je n'y changerai rien, hélas. Au moins, il me fait prendre conscience des dérives et me place, définitivement je pense, au bon endroit (selon moi) sur l'échiquier des idées sociales et politiques.
C'est un livre brillant, éclairant, nous ouvrant l'esprit, taillant en bois à brûler toute idée d'un libéralisme vertueux. Et cette fois en revanche, Orwell a prévu cette déliquescence que nous sommes en train de vivre.
Orwell lui-même est issu de la classe moyenne et il refuse le moindre regard condescendant sur un monde ouvrier dont les activités sous terraines ou dans les usines sont les garantes de nos vies bien au chaud, à l'abri du moindre inconfort.
Bref, il règle les comptes avec cette société de consommation, qu'au même titre que Aldous Huxley, il a vu arriver de loin.
Si vous voulez comprendre quelques pans de notre monde contemporain, lisez le Quai de Wigan.
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