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Critique de Emnia


La Forêt de Thomas Ott est un album magnifique qui impose plusieurs lectures, à différentes vitesses. Il y a d'abord l'avidité du premier regard, quand on feuillette le livre à peine reçu pour se rassurer du bien-fondé d'une acquisition impulsive. Puis, on le reprend du début, plus doucement, fasciné cette fois autant par la beauté des illustrations que par leur maîtrise technique. Les lectures suivantes, plus lentes encore, s'attacheront pour leur part à la richesse symbolique des images, et laisseront ces dernières entrer en résonnance avec le vécu du lecteur.


L'album regroupe vingt-cinq planches sans texte réalisées grâce à la technique de la carte à gratter, décrite en ces termes à la fin de l'ouvrage : « Avec un cutter japonais [Thomas Ott] gratte des lignes et des formes dans une couche noire qui recouvre un carton blanc. L'artiste crée donc son dessin en le traçant en blanc sur fond noir par petites touches de grattages successifs. Un travail extrêmement minutieux pour lequel il n'a pratiquement pas le droit à l'erreur. »


Cette minutie arrête le regard. Devant ces traits innombrables, on devine le geste à la fois vif et précis de l'artiste, même si l'on peine à imaginer le temps passé sur chacune des planches. Ma fascination devant ces illustrations est la même que devant certaines gravures. Non seulement parce que j'ai toujours trouvé au noir et blanc une puissance étonnante, mais aussi car je suis subjuguée par la façon dont les artistes parviennent à l'aide de petits traits à une telle précision dans le rendu des textures, en jouant sur leur orientation, leur densité. Les zones laissées en réserve par Thomas Ott permettent quant à elle de délimiter les formes d'un fin cerne noir ou de créer des ombres impénétrables. À eux seuls, les rais de lumière diffuse qui s'infiltrent à travers la végétation, à laquelle ils sont habilement superposés, pour éclairer le chemin du personnage sur la cinquième planche, en disent long sur le talent de l'illustrateur.


La Forêt est un récit initiatique dans lequel un jeune garçon s'enfonce seul dans un espace mystérieux peuplé de créatures fantastiques évoquant l'univers du conte. le personnage, une épreuve après l'autre, se confronte à ses peurs et les surmonte ; on le voit grandir. Je n'ai pu m'empêcher de dresser un parallèle entre la planche montrant l'entrée du jeune garçon dans la forêt chez Thomas Ott et deux xylographies de Gustave Doré illustrant les Contes de Charles Perrault, la première montrant le Petit Poucet et ses frères s'enfonçant dans la forêt à la suite de leur père, la seconde le prince approchant du château de la Belle au bois dormant.


L'apparente simplicité des illustrations de Thomas Ott, comportant chacune assez peu d'éléments, n'empêche pas de déceler de multiples niveaux de lectures possibles. On peut considérer cette forêt comme un endroit magique aussi bien que comme un espace que l'imagination du protagoniste peuple de monstres en donnant corps à ses peurs, le faisant ainsi basculer dans le fantastique. La géographie de cette forêt, je pense en particulier à la pente abrupte que doit gravir le garçon, peut quant à elle laisser entendre que cet espace est une transposition de la maison où il se trouve au début de l'histoire, et de l'escalier en haut duquel l'attend une épreuve difficile. Il est également possible de percevoir le bois où chemine le personnage comme un espace purement symbolique, le lieu d'un voyage intérieur.


Dans la forêt, le jeune garçon se confronte avant tout à sa vision de la mort, constituée d'a priori qu'il va lui falloir dépasser. Sa plongée au coeur de cet espace relève de la catabase, c'est le voyage d'un vivant au royaume des morts, une étape essentielle de son initiation. Si les premiers vers de L'Enfer de Dante me sont venus à l'esprit durant ma lecture (« Au milieu du chemin de notre vie / je me retrouvai par une forêt obscure / car la voie droite était perdue. »), je n'ai pu également m'empêcher de songer aux gravures de Gustave Doré pour L'Enfer, en particulier à celle montrant Dante à l'entrée de la forêt dans le chant I, et à celle illustrant le chant XIII où l'auteur, accompagné de Virgile, pénètre dans un bois où « font leur nid les affreuses Harpies ».


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