Citations sur Le poignard et le poison (25)
le moine était un personnage énorme et truculent qui se vantait de manger à lui seul, comme entrée, un cochon de lait garni de saucisses en le faisant passer avec un setier de Bourgogne. Il connaissait cent histoires drôles et fables et était capable de faire pleurer de rire une tablée entière rien que par la façon dont il s’esclaffait, tonitruant, faisant tressauter sa panse, tapant des poings sur la table, tête rejetée en arrière et bouche grande ouverte.
-- Tous les hommes ne sont-ils pas égaux devant le Très-Haut ? dit Erwin d'une voix presque basse et qui cependant retentit dans le silence.
Bien que laconique en général, Erwin avait en chemin de brèves conversations avec ce Grec barbu, Timothée, originaire de Bithynie et qui avait fui Constantinople à la suite d’un différend obscur avec la police de l’impératrice Irène
Sur la route de Pouilly, peu de temps d’ailleurs après que frère Antoine eut apporté le renfort de sa gaillardise, le convoi fut attaqué par une forte troupe de brigands qui, ayant abattu des arbres devant et derrière lui pour l’immobiliser, se lancèrent à l’assaut.
Tandis que tous les gardes se mettaient en défense, ils virent frère Antoine tirer flèche sur flèche avec une rapidité stupéfiante, chaque trait faisant mouche ; puis, alors qu’un bandit s’approchait de sa monture, le moine d’un geste foudroyant lança un coutelas...
À d’autres la tempête hivernale avait transformé l’itinéraire forestier en abattis inextricables qu’on devait longuement contourner. Les chevaux, tantôt enfoncés jusqu’à mi-jambe dans la neige, tantôt glissant sur le verglas malgré la garniture de leurs sabots, ne pouvaient progresser que lentement et très irrégulièrement. Le convoi en perdit beaucoup. Pour les hommes, chaque pas dans la neige fraîche et épaisse était un supplice.
Pourtant d’Aix à la vallée du Rhin, et de la plaine d’Alsace à la Bourgogne, les difficultés n’avaient pas manqué : en maints endroits des congères barraient la route, retardant gravement la marche du convoi.
Le comte, avec ses six pieds de haut, était un colosse impressionnant, surtout quand il était sous les armes, casque en tête, revêtu de la broigne, la grande épée à double tranchant au côté, le glaive court au ceinturon et l’écu triangulaire au flanc. Sous cette lourde carapace de cuir et de métal, à peine laissait-il apercevoir sa face, ses yeux d’un bleu très pâle et sa courte moustache blonde. Son aspect, alors, était formidable. Il est vrai qu’à l’ordinaire il ne cheminait pas avec une telle armure, la laissant dans un fourgon. Cependant, même sans elle, il paraissait bien ce qu’il était, guerrier rude, fier de sa force et de sa résistance, et porté à juger les autres selon leur robustesse.
Aussi Childebrand devait-il accepter qu’aux différentes étapes de leur voyage Erwin se livrât à des vérifications qui n’avaient rien à voir avec la mission proprement dite. Il se faisait ouvrir les bibliothèques et, avec l’aide d’un certain Timothée, il en établissait l’inventaire, vérifiant l’état des manuscrits un à un. Il inspectait évêchés et couvents pour examiner les textes et psautiers qu’utilisaient les desservants du culte et les lecteurs, relevant par écrit, à l’intention d’Alcuin, fautes et lacunes, ou dénonçant des additions suspectes.
Sa désignation pour la mission à Autun résultait d’une initiative d’Alcuin, principal conseiller du roi. Il avait imaginé qu’Erwin pourrait en profiter pour procéder à une inspection concernant les livres sacrés dont se servaient clercs et moines. La plupart des bibles en effet étaient lacuneuses, fautives voire fantaisistes, aucune ne ressemblait à une autre, et Alcuin avait entrepris l’établissement d’un texte complet et correct, s’imposant à tous – véritable travail d’Hercule – d’où la tâche particulière confiée à son ami.