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Critique de AMR_La_Pirate


Merci aux éditions Le Cherche Midi et à Babelio pour cette opération Masse Critique privilégiée qui m'a permis d'être sélectionnée pour recevoir ce livre. La couverture avec la référence à Almodóvar met immédiatement l'eau à la bouche et ouvre l'appétit… Je suis d'avance dans les meilleures dispositions quand je pose ce livre sur le dessus de ma pile à lire principale.
Dans Une Mère, Alejandro Palomas revisite le thème du repas de famille, ici le repas de la Saint-Sylvestre, avec le voeu pieu de tous les convives « que tout se passe bien » et « le radar personnel » du narrateur qui sent bien, qu'encore une fois, les choses risquent de déraper. Ce roman aborde avec humour les difficultés de communication des familles quand « on ne se dit jamais les choses vraiment importantes », quand on n'arrive pas à s'exprimer, à confier ses doutes ou ses échecs. L'écriture à la première personne vient cependant mettre en lumière une véritable chorégraphie interne au cercle familial, faite de rituels, d'enchainements naturels de gestes et de paroles, garants et révélateurs d'une histoire et d'une réalité communes.

Dans toutes les familles, il y a « quelques lueurs et beaucoup de zones d'ombre » et certaines familles, comme celle dont il est question dans ce roman sont « excessives, imprévisibles et explosives ». La première partie plante un décor où malgré les précisions sur les personnages, apparemment largement divulguées pour ce qui touche au divorce des parents, à la séparation du narrateur d'avec son compagnon, à la rencontre de la fille cadette avec sa nouvelle compagne, aux problèmes de couple de la fille aînée, à la personnalité de l'oncle et même aux raisons de l'arrivée des deux chiens chez la mère et son fils, le lecteur se rend vite compte que le pire et le meilleur sont encore à venir.
La deuxième partie voit le déroulement du repas, avec les convives qui font la conversation en fond sonore et ceux qui restent silencieux, ceux qui « lâche[nt] des vérités ruminées pendant des mois » qui prennent les autres à contre-pied, la mère qui a un peu trop bu, les plats plus ou moins réussis, les maladresses au sens propre, causes de renversement et de bris de vaisselle, et au sens figuré quand, par exemple, la nouvelle compagne d'Emma « [pose] le pied [en] territoire comanche, une de ces nombreuses pages de l'album familial que, comme souvent, la famille ne partage qu'avec les siens ». Bien entendu, comme dans toutes les familles, il y a ceux qui ont tout vécu, qui ont des idées sur tout, qui surenchérissent quel que soit le sujet, se croyant toujours plus forts que les autres. Il y a aussi les complices de toujours qui échangent regards entendus, coups de pied sous la table et même SMS discrets.
Le narrateur approfondit ses analepses et analyse les évènements passés pour éclairer notre lecture, le présent du récit et les avenirs possibles des protagonistes : « comme le disait grand-mère, nous sommes tous ce que nous sommes par ce que nous avons vécu. […] Chacun d'entre nous est arrivé ici lourd de ses secrets et de son fardeau personnel ». de plus, certains convives sont venus dans l'intention d'annoncer de grandes nouvelles au reste de la famille et cela va susciter un florilège de réactions typiques, caricaturales ou complètement décalées. Je n'entrerai naturellement pas dans les détails… mais sachez que cette famille détient un beau record de casseroles à traîner et de projets d'avenir farfelus.
La troisième partie monte en puissance et en émotion et ce n'est pas seulement à cause de l'approche de minuit et du rituel espagnol de « l'heure du raisin ». La famille devient « un bateau dans lequel [les personnages sont] tous embarqués » et sans doute les lecteurs aussi. La « chaise des absences » et les tableaux en liège qui résument la vie des trois enfants prennent tout leur sens tandis que les révélations continuent. Les personnages gagnent en profondeur dans le ressenti du narrateur : Amalia, la mère, même si elle multiplie les gaffes, apparaît nimbée d'une aura d'amour plus forte que les deuils et les ruptures ; Silvia, la fille aînée, révèle le vide de sa vie, tandis qu'Emma, la cadette, apprend à vivre avec ses blessures ; l'oncle Eduardo avoue, lui aussi, ses fêlures ; même la grand-mère Ester, morte depuis longtemps, mais toujours présente dans les coeurs donne une belle leçon de vie.
La quatrième partie en forme d'épilogue suit « l'aube violette » de la nouvelle année et renforce la proximité entre le personnage éponyme et le narrateur. La meilleure preuve d'amour d'une mère est de laisser partir son enfant et, dans le cas d'un adulte revenu dans le giron maternel, de lui donner l'impulsion de rebondir pour s'envoler à nouveau loin d'elle, quel qu'en soit le prix.

Ce roman est bien plus qu'une simple comédie familiale. Les personnages sont certes déjantés, mais l'approche des caractères en « face A et B » révèle une analyse en profondeur des rapports humains et familiaux qui rappelle l'utilisation de la doublure chère à Almodóvar. Je connais mieux l'univers déjanté et touchant du cinéaste que celui d'Alejandro Palomas dont je ne sais pas grand chose, hormis peut-être son amour des chiens, mais je retrouve dans la médiation de la fiction un affect profond vis-à-vis de la mère, un regard fétichiste sur les objets du quotidien, une forme de recadrage intempestif sur les choses concrètes. Quelques recherches rapides sur le Net m'apprennent que les personnages d'Une Mère reviennent, notamment dans Un Perro : comme Almodóvar, Palomas revisite donc les situations déjà exploitées. La parenté entre les deux hommes est intéressante, mais il me semble toutefois qu'il faille démarquer l'oeuvre littéraire dans ce qu'elle donne à voir dans le ressenti de chaque lecteur.
Personnellement, je viens de faire une belle rencontre littéraire avec Alejandro Palomas et je compte bien essayer de me procurer ses autres livres en VO (Las dos orillas, un Hijo, Un Perro, et El Alma del Mundo) afin mieux connaître cet auteur, que naturellement, je recommande.
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