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Critique de 4bis


Il y avait eu cet été Les nuits de la peste, qui m'avaient donné bien de la peine et fait jurer qu'on ne m'y reprendrait plus. Et puis, malgré tout, des semaines après cette éprouvante lecture, des réminiscences, comme si mon esprit recréait le livre qu'il aurait aimé lire ou plutôt les sensations plaisantes qu'il aurait aimé trouver à sa lecture. Dans mon souvenir de moins en moins précis, le caractère fastidieux d'un roman qui m'avait enlisée s'estompait peu à peu pour ne laisser que le pittoresque et l'élan d'une grande fresque. le rivage des Syrtes m'avait, il y a des années, fait cette impression déjà. Et puis, dans ses commentaires, JeffreyLeePierre m'a recommandé Mon nom est rouge, me garantissant qu'il ne s'y était pas ennuyé. Voilà qui explique pourquoi j'ai à nouveau tenté Pamuk.
Nous sommes cette fois dans l'univers des miniatures à la fin du XVIe siècle à Istanbul. Une longue tradition d'ornementation des livres relie les peintres aux plus grands maîtres des siècles passés et si personne ne peut être reconnu tel quel sur un dessin, si les belles ont toutes les traits chinois, les chevaux d'une bataille exactement tous le même air, c'est qu'ils sont peints tels que Dieu les voit et que le peintre a su préserver cette pure représentation de tous les excès de style corrupteur.
Mais tandis que se raffine à l'infini le soin à restituer ainsi le geste passé des plus grands, l'Occident prend le chemin de la perspective, apprend à créer des horloges à la mécanique impressionnante et surtout, sait faire le portrait des hommes à tel point qu'ils paraissent vivants sur la toile. A tel point que n'importe qui saura les reconnaître d'après la peinture, qu'ils auront ainsi atteint une éternité et une renommée qui n'aurait pu être que celle de Dieu.
C'est dans ce contexte que le sultan commande à Monsieur l'oncle un livre qu'il puisse offrir au doge de Venise et qui lui montre que l'Orient n'a rien à envier au nouveau style. Débauchant les meilleurs peintres d'un atelier concurrent, l'oncle les fait travailler en secret à cet ouvrage sans qu'ils puissent voir ce que peignent les uns et les autres. Jusqu'à ce que l'un d'eux se fasse sauvagement assassiner. Jusqu'à ce qu'il devienne impossible de faire cohabiter dans une même ville autant de divergences de vue sur ce qu'est l'art et sur le rôle de la représentation.
Sur fond d'une intrigue mi policière mi amoureuse, le lecteur est entrainé chapitre après chapitre à entendre la confession des différents personnages. Esther, colporteuse et marieuse haute en couleurs, Papillon, Olive, Monsieur Délicat et la Cigogne, les peintres, l'Assassin, l'Oncle, la belle Shékuré, tous viennent nous prendre à témoin, nous inclure dans le livre qui se constitue ainsi sous nos yeux. La mise en abîme est tout à fait réussie : ce sont des êtres de fiction qui nous parlent du pouvoir de la représentation, des personnages de papier qui font jaillir le sang pour régler des différents tant théoriques, civilisationnels, que bassement terre à terre. La jalousie, le désir, le sordide ont autant à voir dans cette histoire que l'art le plus éthéré.
Alors si j'ai pu trouver encore quelque fois quelques longueurs et que j'ai tout de même senti passer les 736 pages de mon édition de poche, j'ai bien davantage préféré Mon nom est Rouge aux Nuits de la peste. Cette fois, pas d'enlisement, l'intrigue policière est y pour beaucoup, elle m'a rappelée celle du Nom de la rose, cette même exigence intellectuelle, ce même mélange du sordide et du sublime, ces mêmes envoutantes et exotiques ambiances autour du livre. Mais ce que j'ai préféré, c'est de trouver, de ci, de là, quelques savoureux anachronismes, une autodérision assumée qui, tout en mettant en péril la vraisemblance de la narration, venait souligner le charme puissant de la fiction.
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