AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ATOS


« Essayez de regarder. Essayer pour voir. » Charlotte DELBO
(«  Aucun de nous ne reviendra », extrait).

Rithy Panh est là. L'enfer lui a traversé les chairs.
Est ce qu'on « en revient », un jour, de l'enfer?
«  Ainsi la violence demeure. le mal qu'on m'a fait est en moi. »
Il est là , présent Rithy, l'enfant, et interroge Duch.
Kaing Guek Eav, Duch le tortionnaire en chef du S21.
Cambodge 1975-1979. 1,7 millions de morts. Phnom Penh, S21.
«  A S21, nul n'échappe à la torture, Nul n'échappe à la mort ».
L'enfant ne cesse jamais de rêver, il rêvait qu'un appareil photo tombe du ciel.
L'appareil photo n'est jamais venu.
Noël n'existe pas en enfer.
Alors pour, vivre encore, il doit «  tenir ses poings dans ses poches », et il choisit les images et les mots.
Puisqu'on n'a rien dit, puisqu'on a rien vu, il nous montre, puisque «  ce qui blesse est sans nom », il prononce.

Le conflit vietnamien – cambodgien est une gorgone.
Chine, USA, France, ONU, colonie, communisme, américanisme...
Bourbier «  sans nom » . «Ce qui blesse est sans nom »...

Certains répondent «  Pol Pot » par « agent orange », certains répondent «  raisons » par « famine », certains répondent « légitime défense » par «  torture », corruption par discipline, doctrine par dialectique, etc etc etc .
On répond beaucoup, nombreux, très vite, par anticipation quand on ne veut pas entendre les questions....

La guerre chez soi est toujours plus propre que chez les autres.
On a toujours de bonnes raisons, mon voisin a toujours de mauvaises intentions.
Et qu'avaient ils, eux, les 1,7 millions de morts  du Cambodge ?
Qu'avaient ils, ces enfants du Rwanda, du Chili, d'Arménie, de Tchétchènie , d' Ukraine, du Tibet, de Syrie, de Varsovie, du Vel d'Hiv, de Palestine, du Vietnam, du Japon, du Cambodge. et tous leurs frères et soeurs.. ?

Tenter de justifier ce que rien ne pourra jamais justifier est un crime.
Le combat peut être un devoir, la résistance une nécessité, l'éducation une priorité,

La destruction est un crime.
Quelque soit la main, quelque soit la couleur du drapeau, quelque soit le livre, quelque soit la colère. L'élimination est un crime.

Un de nos présidents occidentaux et non des moindre puisqu' il s'agit du nôtre, a, lors d'une conférence de presse déclaré : «  l'ennemi sera détruit ».
Vaincu ! Monsieur le Président, vaincu !, pas détruit.

Détruire est un mot de bourreau, vaincre est un mot de combattant.

Il faut faire attention au mot. Ils sont importants.
Extrêmement important, ils sont le plus souvent la première arme de tous les extrémistes.

Une démocratie peut combattre, une dictature détruit toujours.

Monsieur le président, n'oubliez jamais que lorsque vous parlez, un peuple vous écoute.
Vous avez une responsabilité, n'en faites jamais un métier ni une fonction.

Rithy Panh veut savoir, veut comprendre l'injustifiable. Il veut nommer, montrer, ne pas oublier, expliquer.
Il interroge Duch.
Duch rie.
Duch est un homme.
Duch ne veut pas être un homme.
Il veut être une machine, une pièce de la grande machine.
La grande machine qui détruit ce qui n'est pas humain, ce qu'elle appelle l'ennemi.
L'ennemi... ?
L'ennemi n'a pas de nom, n'a pas de visage, il est partout, il est « tout le monde », alors pour mieux le détruire, la grande machine, l'organisation va effacer, tout effacer, détruire.

L'organisation, l'Angkar, va changer les mots. On invente un nouveau langage pour remodeler le nouveau peuple.
Duch est un technicien de la révolution.

Les recettes sont partout les mêmes. Un chef, un pays, un peuple.

L'homme perd son travail, son adresse, son nom, sa famille, ses enfants, ses vêtements.
Tous égaux : la peur, la faim, la maladie, la coupe de cheveux, la pauvreté, la misère, la terreur. le mécanisme de la machine infernale ne peux supporter que des rouages égaux.
On lamine, on détruit, on coupe, on extermine, on taille, on éradique, on tranche, on élimine.
L'être n'existe plus, il appartient.

«  Ne touchez personne. Jamais. Et si vous n'avez pas le choix, ne touchez jamais avec la main, mais avec le canon du fusil ».

On compte, on recompte, on décompte, on inscrit, on reporte, on rapporte, on fiche, on éventre, on répertorie, on démembre, on dénombre, on affame.
Le crime a toujours ses outils.

Toutes les pièces se valent, c'est à dire qu'elles ne valent rien.
«  A te garder, on ne garde rien. A t'éliminer, on ne perd rien. » .
La technique fait son travail.
«  kamtech »....réduire en poussière
Rien ne doit rester de l'humain.
Rithy ne l'accepte pas, ne l'acceptera jamais.

«  J'étais sans nom. J'étais sans visage. Ainsi j'étais vivant, car je n'étais plus rien ».

«  Ce que je cherche c'est la compréhension de la nature de ce crime et non le culte de la mémoire. Pour conjurer la répétition. »
Voilà ce que Rithy essaie d'obtenir en interrogeant Duch.

«  Je n'ai jamais envisagé un film comme une réponse, ou comme une démonstration. Je le conçois comme un questionnement. »

Puisqu' « une langue totalitaire est une réponse à l'absence de question » , Rithy lève les poings d'interrogation par ses mots et par son oeil.

Duch répond,
Duch rie.
Il est stoïque.
Il lit la bible.
Duch pense.
Duch se souvient.
Duch dit.
Duch lit.
Duch écoute.
Duch lit de la poésie
Duch est humain.
Il n'est pas tous les humains.

«  le monde est un enfer pour l'homme qui ne croit pas au diable » Jacques Lacan.

Le livre, « L'élimination »   pose la question . le film « l'image manquante » montre son origine.

Un diptyque nécessaire pour opérer le remontage de ce temps subi et enrayer toutes les mécaniques infernales.

Astrid Shriqui Garain
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}