Citations sur Une vie possible (19)
Parler "d'avortement de confort" n'a aucun sens : nous n'avions jamais été dans un tel inconfort.
Mettre au monde : pourquoi mettre, comment mettre, et dans quel monde ? Une lettre de moins, et j'entends : être au monde. C'est de cela qu'il s'agit.
Avorter, c'est aussi faire attention à la vie, contrairement à ce que l'on peut croire. Il peut sembler que cela signifie retirer la vie, mais en réalité, c'est le contraire : c'est faire attention à la vie. C'est vers le meilleur que tend cet acte si pénible.
Nous voulons faire l'économie du malheur. Nous n'avons pas payé pour ça, nous voulons du bonheur à l'état brut.
" J'entends: ce n'est rien, tu n'as rien vécu, dans deux semaines tu auras oublié, tu n'as rien ressenti, tu n'as pas été vraiment enceinte. Mais qui peut parler de mon corps, sinon moi?"
J’aimais me regarder dans la glace, comme s’il était déjà possible de déceler une rondeur au niveau du ventre. Il me semblait gonflé, je guettais la moindre douleur. Parfois, je sentais un pincement, comme un petit éclair, une vibration électrique, légèrement douloureuse. Je me disais : c’est bon signe, il grandit.
Si j'avais été contrainte à faire un choix d'une telle envergure, c'était parce que la manière dont je vivais ma vie ne me plaisait pas, et si j'avais pu faire un choix d'une telle envergure, c'était que j'avais la possibilité aussi de choisir, désormais, une autre manière de conduire ma vie, afin qu'elle finisse par me plaire. C'était cela, relever la tête et marcher sous la pluie. C'était cela être une femme.
Si les disparus ont une tombe, une urne, un autel, un lieu où les proches peuvent se recueillir, ces possibilités disparues n’en ont pas. A défaut de pouvoir construire un terrain comme Phuc, j’écris. Que ce livre soit un endroit de repos possible pour ces rêves d’enfants interrompus, un endroit où ils peuvent se reposer, eux qui n’ont plus de lieu ni dans nos maisons ni dans nos dialogues, ce serait une belle chose. Que ce livre soit un endroit où nous pouvons penser à eux, et où ils peuvent sourire de nous, anges dans le ciel, ce serait bien.
« L’histoire de l’homme, c’est l’histoire de sa lutte pour survivre, lutte contre la nature, contre les cataclysmes naturels, lutte aussi des hommes entre eux et lutte enfin de chacun contre la maladie et la mort. Cette lutte, l’embryon la mène dès la conception, et l’on sait aujourd’hui qu’une sélection naturelle s’opère, qui fait que bien des œufs fécondés n’ont qu’une brève existence. Cette puissance de la vie, je dirais même cette nécessité de survivre et d’assurer sa descendance, c’est celle qui fait que la procréation est au centre des préoccupations sociales sous-jacentes à toute pensée religieuse ou morale . »
Lutte, victoire, échec ou hasards… Je dois mon existence au hasard que ma mère soit née, dans son petit village vietnamien, qu’elle ait échappé aux bombes et aux balles de la guerre du Vietnam, qu’elle soit allée un jour dans ce magasin de photographies à Hanoï…
La vie est belle, tout de même. Il fallait ajouter ces trois mots derrière. Crois un peu plus fort en la vie, crois en l’avenir, aie confiance, tu verras : Life is beautiful. J’entourais ce néon de phrases rassurantes et il prenait sens. Son rose qui me paraissait si cruel devenait finalement tendre. Bientôt, j’acceptai cette épreuve comme une manière de comprendre que la vie n’était ni obligatoire ni habituelle : elle était exceptionnelle et rare. Elle n’était pas donnée, acquise d’avance : elle restait fragile, incertaine, illusoire, biologique. Nous étions tous des miraculés – miraculés de l’échec, miraculés de la mort, miraculés de la matière inerte. C’était précieux.
Un ami a attiré mon attention sur le mot fausse couche. Il n’y a là rien de faux : c’était vrai, c’était arrivé. Une couche interrompue, peut-être, mais pas fausse. Je m’interroge d’ailleurs sur cette fameuse « règle des trois mois », selon laquelle il ne faudrait rien dire à personne de sa grossesse avant les trois mois de l’embryon. Cette règle, que se glissent les femmes entre elles, repose sur le fait, précisément, qu’un grand nombre de grossesses échouent avant trois mois. Il faudrait donc taire la grossesse, afin de ne pas annoncer un heureux événement.