Comme une gigantesque araignée suspendue à un fil de métal neuf pieds au-dessus du plancher, un candélabre dominait la pièce. De ses branches de fer menaçantes pendaient de longues stalactites d'une cire blême qui coulait goutte à goutte, goutte à goutte. Une pyramide de suif s'élevait comme un chapeau blafard à l'angle d'une méchante table au tiroir ouvert, plein de mil pour les oiseaux, placée sous l'araignée couleur de rouille.
Grisamer entra, portant d'énormes volumes sous le bras. Il était vêtu d'un sac de toile pourpre. Sa barbe poivre et sel n'était qu'un fouillis de nœuds, et la peau de son visage ressemblait à une feuille de papier d'emballage qu'une main aurait savamment froissée avant de la lui appliquer sur la chair. Il avait des yeux profondément enfoncés dans les orbites, tapis à l'ombre du front qui, malgré ses rides innombrables, conservait une courbe imposante.
Gormenghast, du moins la masse centrale de la pierre d'origine, aurait eu dans l'ensemble une architecture assez majestueuse, si les murs extérieurs n'avaient pas été cernés par une lèpre de demeures minables. Ces masures grimpaient le long de la pente, empiétant l'une sur l'autre jusqu'aux remparts du château, où les plus secrètes s'incrustaient dans les épaisses murailles comme des arapèdes sur un rocher. Une ancienne loi permettait à ces taudis de vivre dans une intimité glaciale avec la forteresse qui les surplombait. Sur les toits irréguliers s'allongeaient, saison après saison, les ombres des contreforts rongés par le temps, des tourelles altières et brisées, et surtout une grande ombre de la tour des Silex. Cette tour, irrégulièrement mouchetée de lierre noir, s'élevait au milieu des créneaux en coup de poing de la maçonnerie comme un doigt mutilé, blasphématoire, vers le ciel. Les hiboux, la nuit, en faisaient un gosier plein d'échos. Le jour, elle restait muette dans son ombre portée.
L'été était accablant, plein de reflets métalliques. Ce poids impalpable n'était pas vraiment dans le ciel, c'était comme si le ciel avait disparu, remplacé par une atmosphère saturée de gris et de bleu. Le soleil avait beau se refléter sur les pierres, les champs et les eaux, il semblait, cet été-là, n'être q'un disque sans rayon, un cercle maladif et lointain, brûlant lourdement dans l'air chaud.