AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Arimbo


Arimbo
29 décembre 2023
Être ou avoir ( sans être).
C'est ce qu'évoque ce récit du génial Georges Perec, récit distancié au point d'être, je trouve, presque glaçant, car ce sont « les choses », ces « obscurs objets du désir » qui en sont les personnages principaux, elles qui qui absorbent, aspirent, phagocytent la vie désincarnée de jeunes du début des années 60.

De façon tout à fait originale, le récit commence par une visite d'un petit appartement de 35 m2, encombré d'objets dont il nous est fait une description détaillée dont Perec est passé maître.
Puis, nous suivons la vie du couple qui l'occupe (ou le rêve?, on ne sait), Jérôme et Sylvie. Ils ont arrêté leurs études universitaires, sont devenus « psychosociologues », et enquêtent en « free-lance » pour le compte d'agences de publicité, afin de connaître les goûts, préférences des français de ce début des « sixties ».
Une vie faite d'un travail pas trop éreintant, un peu bohème, avec des week-ends entre amis, dans lesquels on parle, boit, fume, beaucoup, l'une des préoccupations étant le thème de la Guerre d'Algérie, dont la fin s'annonce.

Mais la préoccupation majeure de Jérôme et Sylvie, ce sont, dans ce Paris où les sollicitations sont si nombreuses, l'infinité des choses qui tentent le consommateur dont le désir est inassouvi, car les choses sont le plus souvent inaccessibles aux finances du jeune couple. Un désir aussi de consommer « comme il faut », guidé en cela par ces journaux réputés pour leur « bon goût », et décortiqués par ce couple « bobo » qui prétend préférer sa liberté dans le choix de ses missions professionnelles, avec comme conséquence des emplois précaires et peu rémunérés.

Cette frénésie consumériste insatisfaite, c'est sans nul doute le thème central du récit, qui anticipe la révolte de mai 68. : « Dans le monde qui était le leur, il était presque de règle de désirer toujours plus qu'on ne pouvait acquérir », nous dit Georges Perec. Et les deux personnages principaux ne semblent pas rechercher le bonheur dans une certaine façon d'être, mais n'existent que dans la recherche et la possession d'objets, même inutiles. Et cette vie où chacune et chacun est préoccupé par la satisfaction de ses propres besoins et désirs, est une vie faite de frustration et de solitude.

Conscients néanmoins de ce vide, et refusant aussi de se « ranger » dans un travail stable, ce que font beaucoup de leurs amis, Jérôme et Sylvie, postulent pour un travail de coopérants, très en vogue à cette époque post-coloniale du début des années soixante.
L'expérience sera affreuse, d'autant plus que Jérôme ne trouvera pas d'emploi, suite à son absence de diplômes, alors que Sylvie avait été recrutée comme institutrice. Milieu hostile ou indifférent, très peu d'amis et de vie sociale, et un appartement délabré et comble du désespoir, très peu de choses, très peu de meubles, d'objets.
De retour à Paris après une année scolaire, le couple se résigne à se ranger comme les autres dans un emploi stable, et, avec l'aide de leurs amis, ils trouveront un poste de directrice et directeur d'Agence de publicité à Bordeaux. Et, à nouveau, se mettent à rêver d'une vie d'opulence. Mais le repas insipide servi dans le train ne présage rien de bon, en tout cas un bonheur incertain.

Dans cette histoire en apparence toute simple, Perec réussit à nous faire saisir, à la fois par la nature désincarnée des protagonistes du couple, dont on ne saura rien des caractéristiques physiques, des origines, etc.., par une narration sans émotion, sans pathos, par l'accumulation de la description des « choses », la quasi-aliénation à laquelle mène la société de consommation où les individus ne se définissent que par les objets qu'ils possèdent, et non par leurs sentiments, engagements, expériences, etc..
Une critique d'une société dans laquelle ce que vous étalez de vos « richesses » (maintenant sur les réseaux sociaux) suffit à dire qui vous êtes, ça reste d'actualité, n'est-ce pas?
Commenter  J’apprécie          363



Ont apprécié cette critique (34)voir plus




{* *}