La parrhèsia ne cède à aucun de ces deux penchants: jacobinisme qui croit incarner à lui tout seul le Bien commun qu'il réduit à l'intérêt général, libéralisme qui ignore la transcendance des institutions humaines. Le désert est l'interface de ces deux penchants. C'est dans le désert que je pratique la parrhèsia. Le parler vrai, jailli de ma conviction profonde, reste conscient des impératifs culturels, sociaux et politiques qui s'imposent à moi comme une autorité régulatrice et ne prétend jamais enfermer la vie dans une parole définitive. Face aux dangers qui menacent la planète, il est urgent de changer de modèle. Mais pour ce faire, encore faut-il que je quitte mon désir d'avoir raison pour accepter de reconnaître que la raison est à partager, comme un bien commun où je découvre mon humanité dans une relation toujours recommencée.
Contre ceux qui prétendent maîtriser par la pensée l'univers et son train, une manière de faire respectueuse à la fois de la rigueur scientifique et de la vie politique est facile à cadrer. Ce cadre se définit par quelques règles simples : refus de tout argument d'autorité, libre confrontation des théories, exhaustivité des références, réfutabilité des discours ; bref, tous les ingrédients d'une parole vraie qui ne va pas sans une certaine vulnérabilité. Le corollaire n'en est pas moins évident: refus du commentaire louangeur de théories élaborées par quelque monstre sacré.
L'assurance face aux contradicteurs, la libre parole fondée sur l'intuition de la vérité, le parler vrai, où, sous le mot de parrhèsia, les anciens Grecs voyaient la condition de la démocratie, tel est l'objet de ces quelques pages; il s'agit du franc-parler, fait de lucidité sur soi-même et de sollicitude pour la société.
Etienne Perrot présente son nouveau livre "Franc-parler en temps de crise" paru chez Bayard dans la collection Christus.