À l’intérieur du bâtiment depuis longtemps effondré, les adolescents d’une époque plus récente avaient édifié une cabane en branchages : un repaire encore plus palpitant.
C’était là qu’ils se retrouvaient.
Dire qu’elle aurait pu faire n’importe quoi de sa vie, mais qu’elle était restée. Nous nous blottissions cœur à cœur sur les branches de sapin et je lui disais : « Raconte-moi quelque chose. » À la seconde même, elle avait choisi un lieu – Nouvelles Hébrides, Tasmanie ou le Bout-du-Monde où nous nous trouvions en fait – et elle savait en dépeindre toutes les couleurs, les sons, les gens, par exemple cette petite fille qui avait perdu ses ailes. Où allait-elle chercher tout ça ? Ellinor. Mon cœur battait sous la paume de sa main.
Une jeune Ellinor. Un jeune Herrman. Lui n’en avait pas perdu le souvenir. Ni oublié à quel point elle était sensible au toucher.
Ses pensées la ramenèrent à Herrman hébergé dans la chambre d’amis. Avait-il remarqué qu’elle avait joliment arrangé la pièce à son intention ?
Probablement pas.
La plupart des gens, pour ne pas dire tous, ne prêtaient aucune attention aux efforts d’Ellinor.
À ses tentatives.
Ses tentatives d’être une personne humaine. Qui s’en soucie ? se dit-elle. Peut-être les enfants, malgré tout ?
Herrman la regarda. La femme aux autours.
— Voilà, conclut-elle. C'est moi et les oiseaux. Je ne peins pas. Je couds et je tricote, parfois je fais des frivolités en dentelle. Je confectionne des confitures. Je conduis le bateau-taxi. Il y a dans ma pauvre cervelle un paquet de milles nautiques de cet archipel, avec plein de hauts-fonds !
Un bref instant peut-il bouleverser l'univers d'une personne, tout mettre sans dessus dessous ? Un instant peut-il toucher le cœur au plus profond, le retourner, et que rien ne soit plus jamais comme avant, comme la seconde d'avant ?
C'est quoi, exactement, un amant d'été ?
C'est, exactement (elle détacha le mot sur un ton mordant), quelqu'un qu'on a envie de fiche dehors dès que c'est fini. Parce qu'on en a tiré aucun bonheur. Parce qu'on a gâché deux minutes de sa vie. Parce que ce n'étaient que des promesses non tenues et des corps qui mentaient. Parce que ça paraissait prometteur au début, mais que ça c'est révélé être des foutaises.
Herrman plaça le coin, leva le merlin, et le frêne se fendit en deux d'un seul coup. L'intérieur du tronc était piqué de vers, des centaines de labyrinthes dessinaient ce qui ressemblait à des mots.
À deux, la nuit est moins périlleuse, lorsqu'il fait si froid que les mots gèlent.
Il lui avait parlé des premiers oiseaux de sa vie, ceux qu'il dessinait au cours préparatoire : "Nos oiseau : La Més Ange est un oisau sé dans terre, était il écrit en lettres maladroites. Elle mange desin sectes et des verre. Elle abite dans un tron pouri. Il y a baucou d'oiseau sé dans terre."
La mer.
La mer qui titille, joue, se fâche, se déchaîne, déferle et engloutit. La mer qui porte et qui noie. La mer qui donne et qui prend.