Inspecteur Felse, tome 6 : Un coeur noir

On ne dévoile pas ses problèmes familiaux si on peut l’éviter.

En réalité, le scénario qui se dégageait de tout ça pouvait mettre un homme en vedette, et non une femme. Cherchez l’homme . Après tout, les femmes aussi pouvaient être jalouses… et dangereuses.

Peu intéressé par les études supérieures mais possédé par la musique. Il avait quitté le collège à quinze ans pour travailler comme mécanicien dans un garage jusqu’à ce qu’il soit remarqué par les professionnels du disque et de la télévision, tout cela en même temps et à l’âge de dix-neuf ans. Il avait un succès phénoménal comme chanteur folk, avait fait plusieurs tournées en Europe et s’apprêtait à partir pour l’Amérique du Sud. Il semblait être resté dans les meilleurs termes avec les gens qui lui avaient servi de parents, allait leur rendre visite régulièrement et avait fait de nombreux dons substantiels à l’institution qui l’avait recueilli. Dans le monde du spectacle, on le trouvait arrogant parce qu’il refusait d’interpréter certaines chansons, parce qu’il ne voulait pas accepter certains contrats, parce qu’il y avait des endroits où il ne voulait pas chanter. En bref, parce qu’il faisait uniquement ce qu’il avait envie de faire.

Cette petite médaille avait peut-être alors acquis une valeur très particulière parce que son donateur n’était jamais revenu. De telles histoires se produisaient, à l’époque, des amitiés imprévues, plus solides que les liens du sang.

Comme c’est reposant ,  oui, reposant, de côtoyer des gens qui ont presque tout vécu et qui ne se sentent plus jamais fébriles. 

Ça devait être extrêmement démoralisant de sentir que tout le monde se désolait pour vous.

Elle avait quinze ans de moins que lui et paraissait plus jeune encore. Il ne s’était jamais lassé de la contempler, n’avait jamais perdu la faculté de sentir encore et encore ce coup de poignard causé par la stupéfaction, l’angoisse et le pur délice que lui procurait l’idée d’être le seigneur et maître d’une telle beauté.
Comme au début il détestait devoir l’abandonner, même pour un jour.

Arundale n’était pas homme à sortir de sa réserve pour proposer de déposer quelqu’un quelque part. Mais l’étui à guitare avait éveillé son sens du devoir. Sans cet accessoire, il n’aurait même pas jeté un regard à cette créature puisque, pour lui, il n’existait qu’une femme au monde : la sienne. Cette fille devait avoir dix-neuf ou vingt ans, elle était grande, mince et d’une beauté saisissante. Elle avait le visage fin, délicatement coloré, des traits bien dessinés et de grands yeux calmes et fiers, d’un bleu d’acier. Sa luxuriante chevelure brune cascadait le long de ses joues, comme dotée d’une vie propre, et était coiffée en une longue tresse épaisse qui lui descendait jusqu’au creux des reins, entremêlée de fines lanières de cuir rouge, comme si seuls des liens adaptés à la crinière des chevaux pouvaient la contenir.