Citations sur De rage et de lumière (11)
Nous sommes en voyage perpétuel sur cette bonne terre, nous allons dans une direction que nous ne connaissons pas encore, la vie comme la mort sont des découvertes de contrées inconnues. Des aventures.
Nos fuites dessinent nos viens plus sûrement que bien d’autres décidons.
On dit souvent en psychanalyse que le couple forme un troisième personnage, en sus des deux protagonistes déjà en jeu. Ce personnage fictif peut aussi bien être une version améliorée qu’une version dégradée des deux êtres.
Dans le cas de nos parents, c’était hélas la deuxième option qui avait prévalu.
Est-ce qu'on peut pardonner à son père de n'avoir pas été là quand on avait besoin de lui ? Comment fait-on pour grandir, se construire sur des ruines, des abysses et des larmes ?
Un jour, nous revenions de notre promenade au jardin, les infirmières l'avaient aidée à rejoindre son lit, ma mère semblait assoupie, je me suis agenouillée à côté d'elle, la tête posée sur le matelas. Soudain, j'ai senti sa main dans mes cheveux, la douceur de cette caresse maternelle m'a emplie de larmes, et elle a dit ces mots comme dans un rêve : Je n'ai plus peur, tu sais. Je sais qu'il y a autre chose après. Puis elle a ajouté : N'aie pas peur. Et promets-moi ceci. Promets-moi de rester unie avec tes sœurs. C'est le plus important. Et promets-moi de faire attention à la beauté. Oui, prends soin de la beauté. J'ai promis.
Cela me rappelle les courses que l'on faisait parfois le week-end avec mon père chez les Frères Tang, le grand supermarché asiatique du 13ème arrondissement. Nous y achetions des nems, des banh cuon, des hakao, du canard et du porc laqué, des mangues et des litchis, des bonbons Lapin Blanc et des sacs de riz au jasmin de 50 kilos. Qu'est-ce que cela signifiait pour mon père ? Était-ce sa manière à lui de nous transmettre quelque chose de lui ?
Notre mère avait décidé d'entrer en guerre. La petite fille aux nattes trop serrées, l'adolescente introvertie, la mère de famille au grand cœur, l'épouse si mal aimée, allait de battre. Sans attendre, aussitôt le verdict du cancer prononcé, notre mère avait enfilé son armure, son casque d'or et son épée.
Pour Jack, ce n'était pas encore l'heure du bio et de la décroissance, mais il avait déjà un petit côté rebelle. Il se moquait de l'argent, et s'en moque toujours. Aujourd'hui, on dirait qu'il exerçait un métier « qui a du sens ». Entre la terre et les bêtes, il était du coté de la nature, de la vie à l'état pur. Il avait échappé aux buildings, à la vie de bureau et aux pubs londoniens remplis de traders.
Pour cesser d'avoir peur et de souffrir de la mort, il faut accueillir ce qui change, le considérer comme un élément du Tout, un passage vers autre chose, pas une fin absolue.
Nous sommes en voyage perpétuel sur cette bonne terre, nous allons dans une direction que nous ne connaissons pas encore, la vie comme la mort sont des découvertes de contrées inconnues. Des aventures.
Prendre soin de la beauté. De quelle beauté parlait-elle ? Comment peut-on encore employer ce terme alors que nous sommes témoins des injustices, de la vio-lence, de l'enlaidissement du monde? Comment peut-elle penser à la beauté dans cet état de souffrance et d'épuisement ?
Avec quelle ardeur et quelle grâce elle se bat. Je me demande d'où lui viennent cette force d'âme, cette façon de rester si attentive aux autres, sans jamais céder au cynisme ni à la haine. Elle s'est armée de bonté comme d'autres s'arment de colère. Elle s'est élevée. De rage et de lumière.