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Critique de vibrelivre


De rage et de lumière
Jeanne Pham Tran
roman
Mercure de France, 2023, 204 p


C'est un roman étonnant, écrit avec retenue et une grande élégance. Une jeune femme, la narratrice, se rend à Calcutta pour interviewer un homme hors du commun -elle l'a découvert à travers un documentaire, le Docteur Jack - alors que sa mère se meurt à l'hôpital d'un cancer à 59 ans. Avant de partir, elle a comme demandé à sa psychologue l'autorisation de le faire, et sa psychologue lui a dit que ses soeurs prendraient le relais. Ses soeurs travaillent dans l'humanitaire, elle non, elle est dans l'édition. A-t-elle le coeur sec ? s'interroge-t-elle. Elle est dans la quête d'elle-même, elle que son père a quittée avec ses soeurs et sa mère. Que fuit-elle ?
A Calcutta, elle trouve celui qu'elle est venue voir, Jack Preger, un homme grincheux et entier, qui pratique la street medicine. C'est un Juif orthodoxe, venant d'un milieu de petits commerçants, qui a fait de brillantes études à Oxford, et s'est établi comme fermier au pays de Galles dans un endroit inhospitalier, battu des vents. Sa femme ne s'y est pas adaptée, et en est partie avec leur fils. Il a poursuivi son travail dans cette ferme trop grande et trop isolée, où le curé lui envoie d'anciens prisonniers pour l'aider et que Jack assiste dans leur réinsertion sociale ; il s'est rapproché d'une jeune femme venue y travailler, mais elle est partie elle aussi. Il a éprouvé une immense solitude, et dans son désarroi a reçu la visite du Paraclet -qui n'existe pas chez les Juifs- qui lui a enjoint de faire des études de médecine.
Il a fait ses premières armes de médecin au Bangladesh, reste marqué par tant de souffrance et de misère chez les réfugiés faméliques. En Inde, il se bat pour que l'hygiène soit partout, et que les enfants puissent aller à l'école. Ce qui frappe chez lui, c'est l'attention qu'il porte aux autres. Son regard est puissant. Il voit ce qu'on ne voit pas, ou ce qui ne se voit. Il agit sans se soucier du résultat, sans attendre de récompense, une philosophie, songe la narratrice, qui pourrait venir de la Bhagavad Gîtâ.Il n'est pas tendre avec l'institution religieuse, trop limitée, elle qui ne soigne pas et ne fait qu'accompagner les malades. Aussi est-il réservé à l'égard de mère Teresa à propos de qui on l'interroge au moment où se fait son dossier en vue d'une béatification.
Mais Jack ressent qu'il a raté sa vie, qu'il est un mauvais père, il a quatre enfants, mais c'est plus fort que lui, il doit soigner les plus humbles. Jack ne sait pas dire non plus aux gens qu'il les aime.
Grâce à cette rencontre, la narratrice vit de façon intense la relation avec sa mère. Elle découvre qu'elle est catholique. Elle sait l'amour qu'elle voue à la beauté et lui promet sur son lit de mort d'entourer sa vie de beauté. La narratrice reçoit et écoute ces leçons de vie. Elle se rend compte qu'elle veut écrire sur la part invisible de Jack. Celui-ci et sa mère deviennent ses héros, des saints presque, mais en tenant compte que tous deux ne sont que des hommes, avec leurs faiblesses.
le lecteur apprend aussi sur l'Inde, pays surpeuplé où la misère est énorme, où les gens se résignent à leur sort sans énervement, pas comme à Paris. Il circule avec la narratrice dans des dédales de rues bruyantes, dans des bidonvilles. IL s'étonne de ce marchand de fruits, et l'admire, qui fait don d'une banane à la narratrice.
C'est un beau roman, discret, qui nous fait descendre en nous-même et nous rend plus fort.
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