Notre siècle est une époque d'hypercriticisme. On y remue toutes choses, et le saint et le profane : l'homme n'a peut-être jamais mis tant d'audace à
éprouver la vérité. La morale ne pouvait échapper à cette enquête intrépide. Elle a fini par avoir son tour : voilà plus de soixante-dix ans que Ton discute sur le sens et la valeur des concepts qui la fondent. Qu'a produit ce long et pénible effort ? des ruines surtout. La morale s'est précisée par certains aspects, élargie par d'autres ; mais elle a perdu contact avec ses supports naturels.
J'ai cru faire une oeuvre utile, en dégageant du passé aussi bien que du présent un certain groupe de principes qui me paraissent inattaquables, et sur lesquels la morale peut s'édifier à nouveau.
Il m'a semblé d'abord que le bonheur constitue la fin suprême de la vie, qu'il est par là même la seule chose qui puisse donner quelque prix à notre existence. Et, sur ce point initial, tout le monde s'accorde de gré ou de force, d'une manière explicite ou implicite; Kant lui-même n'a pu construire sa immorale qu'en y revenant.