Premiers hommes

La conception erronée et toujours persistante de notre évolution qui consiste à croire, qu’à part nous, les autres singes ont cessé d’évoluer pèse de tout son poids dans cet immobilisme de nos pensées.

Chaque grande lignée animale a sa propre perception du monde. Une évidence qui n'en est pas une et qui se trouve autrement exprimée dans la phrase célèbre de Wittgenstein "si les lions pouvaient parler..." pour dire l'impossibilité de comprendre l'animal.

Est-ce que nos cousins hominoïdes que sont les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outans donnent une juste image de nos divers ancêtres communs d'il y a une quinzaine ou une dizaine de millions d'années ? Absolument pas – nous l'avons vu dans le chapitre précédent. C'est tout le problème de notre espèce Homo sapiens, dès que nous avons une image en tête, il est très difficile de s'en affranchir.

En hommage, très posthume, presque paléontologique, à Camille Flammarion, qui, en 1857, entame sa grande œuvre de vulgarisateur scientifique avec un livre intitulé Le Monde avant la création de l'Homme. C'est un an après la découverte de l'homme de Néandertal et deux ans avant L'Origine des espèces de Charles Darwin. Une époque bénie quand les plus grands auteurs et les publics se passionnaient pour les sciences de la vie, de la Terre, du ciel et de l'Homme.

À partir de ce grand tronc commun des Homo erectus au sens large déployés sur tout l'Ancien Monde, plusieurs lignées humaines vont se séparer. Leurs descendants seront des Homo sapiens – nous –, en Afrique ; d'autres des Homo neanderthalensis – les Néandertaliens –, en Europe et en Asie occidentale ; d'autres encore ces mystérieux hommes de Denisova en Asie centrale et, peut-être, en Asie orientale. Ces lignées se séparent entre 1 million d'années et 500 000 ans. Une autre diversité humaine, celle de la fin de la longue préhistoire de l'Homme,

Entre 1,5 et 1 million d'années, presque toutes les terres habitables de l'Ancien Monde appartiennent aux Homo erectus. Il y a 1 million d'années, les populations d'Homo erectus règnent par leur diversité, leur intelligence, leur prestance, leur mobilité, leurs outils et par le feu sur tout l'Ancien Monde. Ils poursuivent leur évolution biologique avec un cerveau toujours plus gros (1 000 à 1 300 cm3) sur un squelette aux os incroyablement robustes. Les parois des os des membres et de la boîte crânienne deviennent deux fois plus épaisses que les nôtres. On ignore la signification adaptative d'une telle robustesse, mais cela donne une idée de la puissance physique de ces hommes, bien plus forts et rapides que nos meilleurs athlètes.

La septième étape de ce grand récit des origines voit émerger Homo erectus en Afrique vers 1,9 million d'années. Il est le premier homme incontestable. Une nouvelle étape de l'évolution humaine se concrétise à la fois sur les plans biologique et culturel. Un nouveau processus évolutif se met en place : la coévolution ou comment les innovations techniques et culturelles interagissent avec la biologie. Cette coévolution ouvre une nouvelle ère de l'évolution de la lignée humaine, qui s'affranchit de plus en plus des contraintes écologiques, notamment du monde des arbres. C'est en ce sens que notre évolution devient exclusivement humaine.

Yves Coppens propose ce qu'on appelle un modèle de spéciation géographique : montrer comment des lignées divergent à partir d'un stock ancestral commun à la suite de l'apparition d'une barrière géographique. La formation des vallées du Rift élève une barrière géographique, puis environnementale et écologique entre l'Afrique de l'Est et le reste de l'Afrique. Le climat y devient globalement plus saisonnier du côté est avec l'expansion de milieux plus ouvert. C'est dans ce contexte qu'évolue la lignée humaine, notamment en développant la bipédie. De l'autre côté de cette barrière, les ancêtres des gorilles et des chimpanzés s'adaptent aux mondes des forêts tropicales humides.

Dans l'affaire Galilée, la Terre a perdu sa place au centre du Cosmos, mais on a découvert les splendeurs de l'Univers ! Dans l'affaire Darwin, l'homme n'est plus au centre de la Création mais nous allons adorer découvrir la beauté de l'évolution !

Les sciences humaines et sociales entretiennent une profonde allergie envers la biologie, considérant que l'homme s'est affranchi de toutes les contraintes de l'évolution. Il en est ainsi en médecine, alors même que les thèses transhumanistes postulent que notre évolution est arrivée à son terme et que notre devenir radieux viendra des nouvelles technologies… Triste constat, qui ne procède pas d'un anti-évolutionnisme obscur, mais le plus souvent d'une mauvaise compréhension de l'évolution.