Citations sur Les dix gros Blancs (20)
Amis, musiciens, enfants, grappes d’amis d’enfants de musiciens ou encore groupes de mannequins envahissaient les lieux chaque été.
Avant cet incident – et cette fin – de parcours, Mick avait, entre deux tournées mondiales, transformé l’amas de planches originel en une villa zen-high tech de quelques centaines de mètres carrés, souvent remplie d’invités très variés.
Mick Jagger avait acquis sa propriété de l’île Moustique plusieurs décennies avant de terminer paisiblement ses jours au soleil. Cette espérance n’avait été qu’à moitié réalisée : il avait péri de nuit. Son air de faire la planche au milieu du lagon ne cadrait pas non plus avec une authentique quiétude.
Boys et jeunes filles au pair se précipitèrent sur la plage, alertés par les cris d’éphèbe de Juan, qu’ils prirent, à première oreille, pour ceux d’un dauphin qu’on châtre. Mais, face au «spectacle», nul plus que Juan n’osa s’enfoncer vers le demi-dieu du rock and roll, qui, le visage tourné vers le fond, paraissait observer les coraux. L’absence de tuba et de masque n’était guère de bon augure sur l’état de respiration, et donc de santé, du chanteur.
Fidèle à sa réputation, le jeune homme ne put se résoudre à avancer dans les vaguelettes jusqu’au cadavre de son boss. Il décida de réveiller d’urgence l’ensemble de la maisonnée.
Juan rêvait d’un destin à la Vincent Mac Doom, lui assurant de conserver sa part de féminité et d’acquérir un substrat de notoriété, loin de ces Caraïbes algueuses. Il s’était d’ailleurs juré que, une fois devenu une sorte de « sitcomeur » pour médias de l’hémisphère Nord, il n’irait pas plus en thalasso qu’il n’utiliserait de crème à base de varech.
Juan s’acquittait de sa tâche d’éboueur des berges avec soin. Il en avait développé une musculature proportionnelle au monceau de plantes aquatiques qu’il charriait quotidiennement, ganté de plastique rose. Si son corps mettait en émoi les îliennes et quelques îliens, sa bravoure comme sa voix et ses tenues demandaient un brin de virilisation. Cela lui valait l’ardente insistance des mâles et l’abandon rapide des femelles d’Occident en quête d’une nuit latino-caribéenne.
Ce fut Juan, l’apprenti jardinier, qui aperçut la masse de chair alors qu’il arpentait le sable, dès cinq heures du matin, pour pelleter algues, branches et autres déchets laissés par la marée. À Moustique, l’île des milliardaires, il était rare de ramasser des canettes vides ou des sacs de supermarché échoués sur le rivage. Tout au plus un miroir multipoudre gisait-il, certaines aubes, à demi enfoui dans le sable aussi blanc… que neige.
Une rédactrice de mode aurait trouvé les «coordonnés» assez réussis, la couleur des tissus humains répondant avec harmonie à celle des eaux tropicales. Les rayons du soleil naissant donnaient au tableau une allure quasi poétique, n’eussent été les petits charognards des mers, tels les poissons-clowns venus téter la viande déjà putrescente de Mick.
Le corps de Mick Jagger était ballotté par les flots du lagon, à quelques mètres à peine du rivage. Sa peau, d’ordinaire d’un rosâtre tacheté de coups de soleil, avait viré au violine, signe que le chanteur était plongé depuis plusieurs heures dans cette semi-immersion, voire que la baignade durait bien trop longtemps.