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Critique de CDemassieux


Sur la quatrième de couverture, pas de doute, on nous parle bien de littérature fantastique allemande. Puis, dans l'introduction de Jean-Jacques Pollet – qui a réuni dans ce recueil divers auteurs du début du XXe siècle –, on peut lire cette phrase sibylline : « Quel que soit le terrain qu'ils abordent, ils [les auteurs] sont toujours préoccupés de la même stratégie : battre en brèche la vision matérialiste du monde, le catéchisme positiviste, pour faire reconnaître les droits de ce qu'ils appellent « l'invisible », affirmer la suprématie de ce qu'ils appellent encore l'âme. »

Je m'explique : certes, dans ces nouvelles, écrites avec une forme et un fond exceptionnellement littéraires, on rencontre çà et là le fantastique que j'appellerai indiscutable – je pense notamment à « Ma rencontre avec Jonas Sapert », « L'araignée » ou « La maison inhabitée ». Mais l'on rencontre surtout les affres fantastiques de l'esprit humain, à commencer par l'obsession, comme dans « Pygmalion » avec son personnage principal – Félix Ballesta – hanté par une beauté de chair dont il fera un sosie en marionnette. Et lorsque ladite beauté de chair retrouvera Félix, elle jouera elle-même à un jeu dangereux qu'elle paiera de sa raison.

Donc, si le fantastique n'est pas toujours évident, la terreur, par contre, est omniprésente. Terreur qui fait la part belle à notre Histoire, avec deux nouvelles résumant parfaitement l'esprit de la Révolution française. D'abord « La petite renommée », où se déchaîne la rage destructrice populaire, mise en miroir avec le décadentisme d'une certaine aristocratie qui ne vit rien venir, trop occupée à jouir sans entrave. Ensuite « La bonbonnière », sans doute l'une des meilleures nouvelles du recueil, où l'on suit le chevalier Magloire de Mortrayes, depuis une cellule crasseuse et bondée jusqu'au Rasoir national (autre petit nom de la guillotine !), en passant par le tribunal révolutionnaire. Ici, on entend et on voit « des bruits sourds, des cris, des hommes en sabots armés de piques, des soldats en uniforme bleu », « des figures patibulaires » (les juges), et l'on s'achemine « au pied des marches de l'échafaud, une mare fétide de sang et de boue et tout autour la foule impitoyable. » Nous somme sous la Terreur de 1793…

Le fantastique joue aussi avec les illusions périlleuses, et deux personnages l'apprendront à leurs dépens : un soldat revenu de convalescence après la Première Guerre mondiale, qui s'abîme dans la contemplation d'une icône et s'enivre d'un parfum de fleur – « La Madone à la jacinthe » – » ; ensuite Juliane, cette belle et riche femme persuadée d'avoir été, dans une autre vie, la malheureuse reine Marie Stuart, dans la dernière nouvelle « le portrait de l'Inconnu ».

Au passage, l'Histoire occupe une place de choix, particulièrement avec la nouvelle « le tableau d'Abbott », qui ressuscite le calvaire de l'éphémère reine d'Angleterre Lady Jane Grey, exécutée par Marie la Sanglante, à qui l'on doit un excellent cocktail : le Bloody Mary !

Notons qu'un certain nombre de nouvelles ont pour canal fantastique un tableau. On peut supposer qu'Oscar Wilde est passé par-là, avec son sublime Portrait de Dorian Gray. Plus généralement, des objets signifiants sont souvent le point de départ de l'aventure fantastique.

Qui dit fantastique dit le Mal. Et lorsqu'on joue avec le Mal en s'attaquant à la pureté incarnée, alors on trouve sur son chemin plus haut que soi. Ne reste plus alors qu'à gémir des « prières pitoyables » ou « désespérées du repentir », comme le raconte l'édifiante nouvelle « le péché contre le Saint-Esprit ».

Tout n'est pas non plus terrible dans ce recueil, et la nouvelle-titre – « La fiancée du diable » – est là pour nous ramener à une certaine légèreté. En effet, cette histoire licencieuse – et faussement diabolique – est surtout une aventure érotique pimentée, qui postule à raison le caractère excitant du mystère.

Maintenant, une inévitable question se pose, car ces nouvelles, écrites au début du siècle précédent, le sont à une époque où un certain Viennois (Freud) découvre le sixième continent, à savoir l'inconscient, lequel ne connaît pas de frontière entre le visible et l'invisible. Et l'on ne saurait balayer l'explication psychanalytique en lisant, par exemple, une nouvelle comme « Journal d'un oranger ».

Pour conclure, et résumer le plus justement possible ce recueil, je laisse la parole à Bennett – personnage énigmatique du « Portrait de l'Inconnu » : « Il n'y a que ce qui n'a pas encore pris forme qui soit angoissant. Toute forme apporte une délivrance, dans la mesure où elle contraint notre imagination. »

(Je remercie les éditions OKNO pour le présent ouvrage, ainsi que Babelio)
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