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Jean-Jacques Pollet (Traducteur)
EAN : 9782491357177
200 pages
Okno éditions (21/10/2021)
4.38/5   4 notes
Résumé :
La littérature allemande a toujours offert une place de choix aux fantastiqueurs, dignes héritiers d’Hoffmann et admirateurs de Poe, réunis ici au travers de textes exemplaires qui disent tous, dans le respect des règles du genre, la même obsession de la mort, de l’Éros et de l’Art.
Le fantastique est ici comme la dernière pièce de l’esthétisme décadent, au temps où l’on pouvait encore, croyait-on, se fiancer avec le diable rien que pour l’amour de l’art, se... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
“Le christianisme a empoisonné Eros - il n'en est pas mort, mais il est devenu vicieux.”
(F. Nietzsche, "Par-delà le Bien et le Mal")

La culture allemande a offert au monde quelques cadeaux vraiment terrifiants, comme les groupes Modern Talking ou Scooter, ou encore la série "Tous en selle avec Bibi et Tina". Par bonheur, les histoires fantastiques rassemblées dans ce recueil étaient toutes écrites avant l'avènement de la pop-culture, dans les deux premières décennies du 20ème siècle, et si elles restent relativement terrifiantes, elles sont aussi esthétiquement irréprochables.
Je remercie donc par la présente la masse critique de Babelio, et je salue les éditions OKNO pour cette louable entreprise : non seulement ce livre ressort à la lumière du jour une douzaine d'auteurs allemands presque inconnus ou oubliés depuis longtemps, mais le choix des récits est très judicieusement fait. Ajoutez-y une éclairante préface et les petits médaillons de chaque auteur à la fin, et on frôle presque la perfection, si je ne compte pas quelques faiblesses de correcteur dans le premier quart du recueil.

Le titre "La fiancée du Diable" s'inspire de la nouvelle éponyme, et il s'applique très avantageusement à l'ensemble. La quasi-totalité des histoires est bâtie sur une rencontre entre un homme et sa "femme fatale", qui n'est très souvent qu'une chimère, un luxurieux cauchemar, l'envoûtante Circé ou la mythique Lilith qui a traversé les âges pour causer sa perte.
Et tous les récits sans exception portent le sceau de l'esthétisme décadent et l'odeur grisante des lourds parfums qui imprègnent déjà les pages des "Fleurs du Mal" de Baudelaire.
Le début du 20ème siècle a apporté son lot de changements, et même si la réaction de tous ces auteurs dits "décadents" (ainsi que de nombreux peintres) est un certain retour vers le passé, on ne peut plus les confondre avec les récits romantiques ou gothiques des siècles précédents. Ils se revendiquent de Bürger, de Goethe ou d'Hoffmann, mais les véritables monstres sont chassés par la lumière de l'ampoule électrique, et les démons sont conjurés à l'aide de la psychanalyse. C'est l'époque des théories freudiennes, des innombrables "-ismes" artistiques qui veulent rompre avec le passé académique, des cercles spirites et du grand engouement tant pour les sciences que pour les pseudo-sciences. C'est aussi l'époque des fantômes réels, comme celui de la Grande Guerre, qui commence déjà à se matérialiser à l'horizon, et qui discrédite tout d'un coup tous les anciens épouvantails gothiques et folkloriques.

La macabre sarabande d'Eros et de Thanatos (sans oublier Hypnos, le maître des cocktails lénifiants qui effacent la frontière entre le rêve et la réalité) commence en fanfare par "Larmes bolonaises" de Gustav Meyrink, le seul auteur que je connaissais. On va ensuite de surprise en surprise, avec des histoires de Karl Hans Strobl, Paul Busson, Hanns Heinz Ewers, Kurt Münzer et quelques autres. le thèmes récurrents sont l'art (on a plusieurs histoires de portraits, peintres ou objets précieux, comme dans "La bonbonnière" de Busson), les lieux chargés d'émotions passées ("La maison inhabitée" de A. M. Frey), ou des rencontres étranges ("Mon aventure avec Jonas Sapert" de K. H. Strobl), mais ils sont souvent très étroitement entremêlés.
Ma mention spéciale va à "L'araignée" d'Ewers, une histoire qui suinte l'"unheimlich" freudien à pleins pores, et dans laquelle tous les locataires d'un certain appartement finissent pendus au bout de quelques jours à la crémone de la fenêtre. Son héros voudrait bien percer le mystère des lieux, mais va t-il résister aux charmes de la belle tisserande qu'il observe dans l'immeuble en face ?
"La madone à la jacinthe" de W. Bergengruen vous apprendra que même le Diable peut parfois s'imprégner de parfum de sainteté, et "Les plantes du docteur Cinderella" de Meyrink qu'il n'est pas conseillé d'arpenter les caves qui ne sont pas les vôtres.
Mais le véritable "meisterstück" représente probablement le récit final, "Le portrait de l'Inconnu" d'Isolde Kurz, le seul de ce recueil écrit par une femme. Cette fois, on a donc l'affaire au portrait d'un homme, un bel inconnu de Titien accroché au musée Pitti à Florence. Juliane se languit en l'absence de son mari, et ce portrait l'appelle tous les jours... elle est persuadée d'avoir déjà vu quelque part ce visage ! Il ne me reste plus qu'à vous laisser découvrir lequel des deux sera fatal à l'autre.

Il va sans dire que cette lecture se marie à merveille avec les lambeaux de brume qui vous entourent comme des serpents lors de vos sorties vespérales de cette fin d'octobre, ce qui m'amène à la note finale de 5/5.
(Seulement une petite note au correcteur : Helena "Blavatsky", et non pas "Blavazy". Bitte ! Les amateurs de frisson esthétique pardonneront volontiers "la corde nouée autour du coup de la malheureuse" et autres petites inattentions ; le livre en vaut largement le cou(p)...!)
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Sur la quatrième de couverture, pas de doute, on nous parle bien de littérature fantastique allemande. Puis, dans l'introduction de Jean-Jacques Pollet – qui a réuni dans ce recueil divers auteurs du début du XXe siècle –, on peut lire cette phrase sibylline : « Quel que soit le terrain qu'ils abordent, ils [les auteurs] sont toujours préoccupés de la même stratégie : battre en brèche la vision matérialiste du monde, le catéchisme positiviste, pour faire reconnaître les droits de ce qu'ils appellent « l'invisible », affirmer la suprématie de ce qu'ils appellent encore l'âme. »

Je m'explique : certes, dans ces nouvelles, écrites avec une forme et un fond exceptionnellement littéraires, on rencontre çà et là le fantastique que j'appellerai indiscutable – je pense notamment à « Ma rencontre avec Jonas Sapert », « L'araignée » ou « La maison inhabitée ». Mais l'on rencontre surtout les affres fantastiques de l'esprit humain, à commencer par l'obsession, comme dans « Pygmalion » avec son personnage principal – Félix Ballesta – hanté par une beauté de chair dont il fera un sosie en marionnette. Et lorsque ladite beauté de chair retrouvera Félix, elle jouera elle-même à un jeu dangereux qu'elle paiera de sa raison.

Donc, si le fantastique n'est pas toujours évident, la terreur, par contre, est omniprésente. Terreur qui fait la part belle à notre Histoire, avec deux nouvelles résumant parfaitement l'esprit de la Révolution française. D'abord « La petite renommée », où se déchaîne la rage destructrice populaire, mise en miroir avec le décadentisme d'une certaine aristocratie qui ne vit rien venir, trop occupée à jouir sans entrave. Ensuite « La bonbonnière », sans doute l'une des meilleures nouvelles du recueil, où l'on suit le chevalier Magloire de Mortrayes, depuis une cellule crasseuse et bondée jusqu'au Rasoir national (autre petit nom de la guillotine !), en passant par le tribunal révolutionnaire. Ici, on entend et on voit « des bruits sourds, des cris, des hommes en sabots armés de piques, des soldats en uniforme bleu », « des figures patibulaires » (les juges), et l'on s'achemine « au pied des marches de l'échafaud, une mare fétide de sang et de boue et tout autour la foule impitoyable. » Nous somme sous la Terreur de 1793…

Le fantastique joue aussi avec les illusions périlleuses, et deux personnages l'apprendront à leurs dépens : un soldat revenu de convalescence après la Première Guerre mondiale, qui s'abîme dans la contemplation d'une icône et s'enivre d'un parfum de fleur – « La Madone à la jacinthe » – » ; ensuite Juliane, cette belle et riche femme persuadée d'avoir été, dans une autre vie, la malheureuse reine Marie Stuart, dans la dernière nouvelle « le portrait de l'Inconnu ».

Au passage, l'Histoire occupe une place de choix, particulièrement avec la nouvelle « le tableau d'Abbott », qui ressuscite le calvaire de l'éphémère reine d'Angleterre Lady Jane Grey, exécutée par Marie la Sanglante, à qui l'on doit un excellent cocktail : le Bloody Mary !

Notons qu'un certain nombre de nouvelles ont pour canal fantastique un tableau. On peut supposer qu'Oscar Wilde est passé par-là, avec son sublime Portrait de Dorian Gray. Plus généralement, des objets signifiants sont souvent le point de départ de l'aventure fantastique.

Qui dit fantastique dit le Mal. Et lorsqu'on joue avec le Mal en s'attaquant à la pureté incarnée, alors on trouve sur son chemin plus haut que soi. Ne reste plus alors qu'à gémir des « prières pitoyables » ou « désespérées du repentir », comme le raconte l'édifiante nouvelle « le péché contre le Saint-Esprit ».

Tout n'est pas non plus terrible dans ce recueil, et la nouvelle-titre – « La fiancée du diable » – est là pour nous ramener à une certaine légèreté. En effet, cette histoire licencieuse – et faussement diabolique – est surtout une aventure érotique pimentée, qui postule à raison le caractère excitant du mystère.

Maintenant, une inévitable question se pose, car ces nouvelles, écrites au début du siècle précédent, le sont à une époque où un certain Viennois (Freud) découvre le sixième continent, à savoir l'inconscient, lequel ne connaît pas de frontière entre le visible et l'invisible. Et l'on ne saurait balayer l'explication psychanalytique en lisant, par exemple, une nouvelle comme « Journal d'un oranger ».

Pour conclure, et résumer le plus justement possible ce recueil, je laisse la parole à Bennett – personnage énigmatique du « Portrait de l'Inconnu » : « Il n'y a que ce qui n'a pas encore pris forme qui soit angoissant. Toute forme apporte une délivrance, dans la mesure où elle contraint notre imagination. »

(Je remercie les éditions OKNO pour le présent ouvrage, ainsi que Babelio)
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Je remercie les éditions Okno et Jean-Jacques Pollet pour l'envoi du livre « La fiancée du diable, nouvelles fantastiques allemandes » dans le cadre de l'opération masse critique d'octobre 2021.

Voici un recueil de 14 nouvelles d'auteurs allemands datant du début du vingtième siècle. Ces auteurs sont tous des précurseurs de la littérature fantastique européenne.

Les nouvelles regroupées dans ce recueil ne sont pas de qualité égale, ni de longueur égale. de quelques pages à 70 pages pour la plus importante (le portrait de l'inconnu).

Certaines n'ont pas grand-chose de fantastique : « la petite renommée », « la bonbonnière », « la fiancée du diable », mais admettons qu'elles s'en rapprochent.

Pour être honnête, certaines ont été lues et aussi vite oubliées tellement elles n'ont pas retenues mon intérêt : « Larmes bolonaises », « Les plantes du Docteur Cinderella », « Pygmallion »…

Et puis il y a les pépites, de vraies petites merveilles, pour lesquelles ce recueil mériterait 5/5 si il n'y avait que celles-ci : « Mon aventure avec Jonas Sapert », « La maison inhabitée » ou « le portrait de l'inconnu ».

Et enfin il y a celle, l'unique, qui surplombe le tout, la merveilleuse nouvelle « le tableau d'Abbott », qui me restera en mémoire très longtemps tellement elle m'a fait frémir, voyager, m'incarner dans ce peintre maudit….

J'ai aimé ce recueil malgré sa qualité inégale, les pépites méritant vraiment le détour par cet ouvrage. A découvrir sans conteste : )
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Hier après-midi, vers six heures, j'étais en proie à une certaine fébrilité. Le soir tomba très tôt, et l'angoisse me gagna. J'étais assis à ma table, et j'attendais. Soudain, une irrésistible envie me prit d'aller vers la fenêtre - non pas pour m'y pendre, mais pour apercevoir Clarimonde. Je me levai d'un bond et me postai derrière les rideaux. Jamais, me semble-t-il, je n'avais aussi bien vu derrière la fenêtre d'en face, bien qu'il fît déjà assez sombre. Elle était en train de filer, mais ses yeux étaient tournés vers moi. Je ressentis un étrange sentiment de bien-être, mêlé d'une certaine anxiété.
Le téléphone sonna. J'étais furieux contre ce stupide commissaire qui m'arrachait avec ses questions idiotes à ma rêverie.

(H. H. Ewers, "L'araignée")
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Tandis que les autres s'associaient à ce toast étrange, je renversai subrepticement mon vin sur le sol où il rejoignit le contenu de maints autres verres dont je m'étais débarrassé de la même façon. Au même moment, avec un désir de candeur apparente, je portai mon regard vers les places de nos amis défunts devant lesquelles se trouvaient les coupes de verre pleines et je vis... disparaître lentement le contenu rouge sombre sans que la main de quiconque les eût levées et sans que les lèvres de qui que ce fût les eût effleurées.
Je sus alors que l'instant du combat était arrivé.

(K. H. Strobl, "Mon aventure avec Jonas Sapert")
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