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Critique de Henri-l-oiseleur


Babelio s'emmêle dans les photos de couverture et les fiches de ce roman, qui ne dispose pas du soutien de trois cents lectrices pâmées, comme n'importe quelle BD en vogue. Il existe deux versions du "Manuscrit trouvé à Saragosse" de Potocki, celle de 1804 et celle de 1810, publiées par Garnier-Flammarion. Parallèlement, Folio, le Livre de Poche et José Corti ont leurs propres versions différemment établies et surtout, abrégées. Mais Garnier Flammarion a pris soin de donner les états du texte complet les plus fiables, résultant de recherches et de découvertes récemment faites en Pologne. L'histoire du texte reflète la vie mouvementée du comte polonais Potocki, grand seigneur au service de son roi, puis du tsar russe Alexandre I°. Il voyagea jusqu'en Chine par la Sibérie, entre autres itinéraires aventureux. Homme des Lumières, affecté de spleen, il se suicida en 1815, laissant ce grand roman inédit, pillé sous l'Empire par un éditeur parisien malhonnête. le texte, comme toutes les oeuvres de Potocki, a été rédigé directement en français et n'a donc aucun rapport avec la littérature polonaise.

Venant de terminer la lecture du roman dans sa version de 1810, la dernière, j'ai une impression partagée. C'est un grand bonheur de lire le récit du héros, jeune militaire venant prendre du service en Espagne, croisant sur sa route une foule disparate de personnages qui, chacun à son tour, raconte sa propre histoire dans le cadre de la sienne. L'enchâssement des récits est inspiré des Mille et Une Nuits, qui ont marqué toute la création romanesque du XVIII°s. le bonheur de lecture tient à ce que l'identité des personnages, c'est l'histoire qu'ils ont vécue et qu'ils racontent. Cela donne une netteté de trait au roman, qui le rapproche De Voltaire, de Diderot, De Stendhal, et rend impossibles les émotions vagues, la subjectivité bavarde et le sentimentalisme venus de Rousseau, qui s'exhalent en 1800 dans les romans ratés De Chateaubriand. On a donc la première personne sans la sensiblerie. L'ouvrage paraîtra "ancien" aux incultes, mais sa lecture est salubre aujourd'hui : notre temps, en littérature, est aux torrents de larmes, à la vertu et aux indignations généreuses, prolixes et sélectives.

Le défaut de cette qualité, la rançon de cette ironie narrative, est une certaine superficialité dans la présentation des personnages, dans les discours et pastiches de tous les genres romanesques en vogue à l'époque. Chacun parle la langue de sa caste ou de sa folie personnelle, on s'amuse énormément, mais ensuite ? Il ne reste rien. Comme Potocki a l'élégance de rester discret sur la propagande des Lumières, on finit par se demander à quoi sert son livre, question que l'on ne se pose jamais avec Voltaire (hélas) ni avec Diderot (qui cherche, enquête, et affirme peu). "Superficiel par profondeur", Potocki laisse le lecteur diverti, reconnaissant, et perplexe. Donc acceptons de nous amuser en toute inutilité.
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