AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


J'ai terminé ce livre les larmes aux yeux et la sensibilité à fleur de peau. Sidérée je suis. de multiples sidérations d'ailleurs me laissent comme hébétée : la magnifique relation père-fils, la façon d'aborder l'autisme, la construction du livre, son érudition scientifique, son cri écologique, son côté visionnaire, son parallèle avec le troublant « Des fleurs pour Algernon » de David Keyes. Ce livre est brillant et si, au départ, les allusions scientifiques peuvent nous tenir à distance, moi en tout cas, nous plongeons peu à peu dans ce bluffant ascenseur émotionnel.

Oui le terme d'ascenseur, ascenseur vertigineux, me vient à l'esprit car « Sidérations » nous montre que nous sommes tout petits dans cet univers gigantesque, que nous sommes là miraculeusement, et pourtant nous arrivons à la détruire, notre planète. Il montre que l'univers est un être vivant et le cerveau un univers condensé, l'infiniment grand et l'infiniment petit se télescopant et s'entrelaçant dans une danse cosmique pleine de grâce, de simplicité, de complicité entre Théo et Robin, entre ce père astrobiologiste qui a perdu récemment sa femme et son fils de 9 ans, hypersensible. Cette danse, parfois transe, tourne autour de questions existentielles : qu'est-ce qui est plus grand et plus important, l'espace du dedans ou l'espace du dehors ? Autrement dit que ce nous ressentons intimement, notre bien-être ou le devenir de la planète, voire la découverte de vie sur d'autres planètes ? le dehors ne conditionne-t-il pas notre dedans ? Ou devons-nous faire barrière pour ne pas être atteint et se protéger ? Comment ?

Théo Byrne est astrobiologiste, il cherche des traces de vie dans l'univers et créé des mondes où la vie est possible. Il embarque régulièrement le petit Robin dans l'imaginaire astronomique et les exoplanètes répertoriées dans son guide, dénommé par ses collègues le «guide Byrne des extraterrestres » qu'il a peu à peu élaboré. Ces voyages virtuels, dans lesquels nous embarquons également, sont de toute beauté et nous dévoile des formes de vie surprenantes : « Un soir de la mi-août, il demanda une planète avant de se coucher. Je lui offris Chromat. Elle avait neuf lunes et deux soleils, l'un petit et rouge, l'autre grand et bleu. Ce qui produisait trois types de jour de longueur différente, quatre types d'aube et de couchant, des dizaines d'éclipses possibles, et d'innombrables saveurs de crépuscule et de nuit. La poussière dans l'atmosphère transformait les deux types de lumière solaire en aquarelles tourbillonnantes. Les langues de ce monde avaient pas moins de deux cents mots pour désigner la tristesse et trois cents pour la joie, selon la latitude et l'hémisphère».

Ces voyages permettent d'assouvir la curiosité insatiable et la soif inextinguible de connaissances de son fils hypersensible, aux troubles autistiques sans diagnostics précis. Ils permettent d'oublier un moment ce que les hommes font de la Terre, d'aller voir ailleurs, de se protéger et de faire bouclier. Ils permettent enfin de créer un lien fort entre eux, une complicité de toute beauté, une relation vibrante emplie de poésie, de tendresse, de respect.
La maman de Robin, Alyssa, décédée quelques mois auparavant dans un accident de voiture, était une activiste écologique. Elle se battait notamment sans relâche contre la souffrance animale et la disparition de certaines espèces.
Robin semble avoir eu en héritage la révolte maternelle et la curiosité scientifique paternelle, et leur intelligence respective, intelligence naturaliste, intelligence visuelle et spatiale, intelligence logique. Un gamin hors norme qui nous fait fondre de ses remarques, de ses cris, de ses révoltes, de son empathie.

Qui nous fait fondre de son évolution aussi. Car « Sidérations » est l'histoire d'une évolution, de la prise en charge des difficultés de Robin non par un traitement médicamenteux chimique mais par une machine basée sur la technique du neurofeedback, une technique d'intelligence artificielle permettant de mieux décrypter le cerveau, de la cartographier, de canaliser les émotions. Qui permet de soigner une émotion en se calant sur celle d'une autre personne. Nous passons souvent de scènes cosmiques à celles de l'exploration du cerveau, transitions vertigineuses. Robin arrive peu à peu à canaliser ses émotions grâce à cette technique, à l'image de la souris Algernon qui devenait de plus en plus intelligente après une opération au cerveau. le parallèle est évident, d'ailleurs Théo au début du livre raconte à son fils cette histoire. Je vous laisse le soin de découvrir si le destin de Robin sera tout aussi funeste que celui de la souris.

« Papa ? Si tu partais en mer ou à la guerre… si quelque chose t'arrivait ? Si tu devais mourir ? Je resterais immobile, je penserais à ta façon de bouger les mains en marchant, et tu serais encore là ».

J'ai aimé Robin, attendrie, étonnée par ces questions, ces remarques. Un garçon perturbé, « blessé de voir ce que ne voyait pas ce monde somnambule ». Sa façon de savoir prendre son temps, d'être dans le Maintenant, contraignant son père par la même occasion à le prendre également ce temps, quitte même à ne pas respecter les règles du jeu de la vie professionnelle, m'a fait du bien. Cet enfant nous rappelle combien nous courons, sans même nous rendre compte des beautés environnantes, en perdant le sens de toute chose.

« Il voulut aller à pied au labo. C'était à six kilomètres de la maison – deux heures de marche dans chaque sens. Ça ne m'enchantait pas de consacrer une demi-journée à cette expédition, mais c'était le seul cadeau d'anniversaire qu'il désirait. Les érables flamboyaient, orange sur fond de ciel bleu intense. Robbie prit le plus petit de ses carnets. Il le tenait au creux de son bras, et y griffonnait en marchant. Les choses les plus banales ralentissaient son pas. Une fourmilière. Un écureuil gris. Une feuille de chêne sur le trottoir, aux nervures rouges comme de la réglisse ».

Richard Powers dénonce scientifiquement, ce qui pourrait paraitre froid. Il a l'intelligence de le faire par l'intermédiaire de ce couple étonnant. Cette dénonciation devient sublime et bouleversante. Elle est un cri. Un cri pour le désastre planétaire dont nous sommes la cause tout en restant aveugles, un cri pour l'exploration spatiale souvent entravée par la vision de court terme, les échéances électorales et la peur religieuse. Un cri pour l'éducation de nos enfants qui doit respecter leurs différences. Un cri pour la connexion au monde vivant. Comme si la sidération seule, vue cette fois ci comme un aveuglement, nous protégeait d'une guerre civile.

« Un jour nous réapprendrons à nous connecter à ce monde vivant, et l'immobilité sera comme un envol ».

Enfin « Sidérations » c'est La sidération, l'ultime, celle du miracle de la vie. Sans doute cette prise de conscience là permet de tout relativiser et de se battre avant de pouvoir dire :
« Oh, elle était bien, cette planète. Et nous aussi, on était bien, bien comme la brûlure du soleil, la piqûre de la pluie, l'odeur du sol vivant, le chant universel des formes infinies, paraphant l'air d'un monde changeant qui, d'après tous les calculs, n'aurait jamais dû exister ».

De toute façon comme le dit Robin : « T'inquiète pas, papa. Nous, on trouvera peut-être pas la solution. Mais la Terre, si ». J'ai envie de l'enlacer ce petit être. D'enlacer chaque être, comme si nos corps pouvaient maintenir à flot notre frêle esquif dans une mer immense. Et un livre qui me donne une telle envie de vie ne peut être qu'un livre magnifique !
Commenter  J’apprécie          29479



Ont apprécié cette critique (221)voir plus




{* *}