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Critique de Pecosa


Je suis hélas la première personne à mettre en ligne une note de lecture sur Une imposture, roman qui ne cesse de me tarauder. Si un lecteur voulait me donner son opinion sur le livre de Juan Manuel de Prada, je serais ravie de confronter nos impressions, sans insulte ni noms d'oiseaux si possible.
Connaissant les opinions politiques de l'auteur, journaliste à ABC, dont les prises de position lui ont valu le surnom de "franquiste de salon", je me doutais bien que ce roman, consacré à Antonio Exposito, petit malfrat madrilène qui gagne sa vie en dépouillant de riches parvenus en goguette dans la capitale et qui s'engage dans la División Azul pour échapper à la prison, susciterait bien des réactions. (La 250 Einheit Spanischer Freiwilliger de la Wehrmacht était un corps de plus de 17 000 volontaires espagnols créé en 1941 par Franco à disposition de la Wehrmacht pour combattre sur le front de l'Est).

Pendant les combats, Exposito se lie d'amitié avec Gabriel Mendoza, rejeton peccamineux d'un homme d'affaires corrompu parti à l'Est expier les fautes de son père. Les deux hommes, dont la ressemblance physique est troublante, se confient l'un à l'autre. Exposito endosse l'identité de son ami, et continuera de se faire passer pour lui à son retour d'U.R.S.S.
De grandes qualités d'écriture dans ce récit captivant qui s'attache à transcrire le destin d'un homme faible pris dans l'engrenage du mensonge et de la dissimulation. le thème classique de l'imposteur qui pendant un conflit endosse l'identité d'un compagnon grâce à une ressemblance physique et aux confidences qu'il a emmagasinées prend ici une dimension supplémentaire. Après dix années d'emprisonnement dans les camps soviétiques, Antonio doit se réadapter à la vie civile dans un pays qu'il ne reconnaît plus. Ayant par ailleurs hérité de la fortune familiale de Mendoza, le voici plongé dans un milieu qu'il exécrait.
Un des intérêts du roman réside dans le récit des conditions de recrutement et des motivations des volontaires qui s'apprêtent à gagner le front soviétique. Je m'attendais à des descriptions de combats, l'unité d'Exposito et de Mendoza étant envoyée à Krasny Bor. Mais le chapitre consacré aux conflits est bref (dommage). Ce sont plutôt les conditions de détention dans les camps soviétiques à partir de 1943, et jusqu'à 1954 (après la mort de Staline et l'assassinat de Beria) qui intéressent Prada.
Le retour en Espagne sur le Sémiramis marque pour Exposito le début d'une existence tout aussi aliénante. le rapatriement des derniers volontaires de la División Azul est pour Franco une épine dans le pied (il démet les phalangistes des postes gouvernementaux), l'heure étant à l'entente cordiale avec les Américains. L'Espagne des années 50, où les plus modestes courent "après les miettes du festin que dévoraient à belles dents les thuriféraires du régime" déplaît à Exposito qui en plus de la fiancée de Mendoza , "hérite" aussi de ses relations et se retrouve, à son corps défendant, au coeur d'un trafic à grande échelle.

Une imposture est un grand roman noir sur le double, le mal et les choix d'une vie. Mais... Mais cette belle promenade littéraire, ce beau paysage ont quelque peu été gâchés par le fameux "scrupulus" (au sens étymologique du terme) qui m'a gênée durant la promenade.
Les membres de la División Azul sont présentés comme des croisés anti-communistes partis combattre "le mal dans sa tanière", des caballeros agissant pour la grandeur de l'Espagne et de l'Eglise, et dont les actions ne sont entachées d'aucune exaction. L'unique soldat honni est le sous-lieutenant Camacho, déserteur de la Phalange, passé du côté de l'Armée rouge afin d'améliorer ses conditions de détention. Est-ce la voix d'Exposito ou de Prada qui se fait entendre dans cette Imposture? La trilogie consacrée à Arturo Andrade (autre volontaire de la División Azul) par Ignacio de Valle (El arte de matar dragones, Empereur des ténèbres, Les démons de Berlin), n'avaient pas suscité chez moi les mêmes interrogations.
C'est un peu finalement comme Aragon et son "Lorsque ma femme aimée me donnera un enfant, le premier mot que je lui apprendrai sera Staline." (grosso modo) ou les lignes de James Ellroy sur Haïti. On peut apprécier un poète ou un romancier même si parfois ils nous plongent dans un abîme de perplexité. La lecture ne s'achève pas une fois la dernière page tournée.
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