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Critique de Arimbo




Ce sixième et avant-dernier tome de la Recherche est, à la suite du huis-clos de la prisonnière, le second tome presqu'entièrement consacré à Albertine, et aussi le deuxième roman posthume de l'auteur.
C'est un roman que Proust s'apprêtait probablement à remanier avant que la mort ne l'emporte, et un roman pour lequel il y a eu le plus de controverses éditoriales, et d'éditions successives, notamment à la suite de la découverte en 1992, du manuscrit dactylographié original.

Ce tome est essentiellement constitué d'une exploration prodigieuse des sentiments complexes que génère la séparation d'abord temporaire puis définitive d'un être aimé. Et au delà de ce premier plan, il y a aussi cette recherche de la vérité de l'autre, que l'on croyait connaître, dont on se cachait la vraie nature parce que l'on ne voulait pas la voir, et plus généralement de cette vérité insaisissable des êtres aimés.
J'ai été saisi par la profondeur et la finesse de l'analyse psychologique faite par le narrateur, d'abord de son manque lié au départ d'Albertine, puis de sa douleur à l'annonce de sa mort, de sa recherche quasi obsessionnelle de la vérité sur l'homosexualité de sa compagne disparue, et enfin, sur ce travail de deuil qui va progressivement transformer la douleur et l'obsession en un souvenir apaisé.
Cette exploration des sentiments à l'égard d'Albertine va toujours être présente et revenir, tel un thème obsédant, un leitmotive, dans tous les événements de la vie du narrateur.

Le roman est divisé en 4 chapitres de taille inégale.

Le premier chapitre, magnifique, qui fait plus de la moitié du livre, est tout entier dédié au départ d'Albertine puis à l'annonce de sa mort accidentelle.
Il est difficile de rendre compte de la complexité des états psychologiques du narrateur quitté par Albertine, alimentés parfois par ses discussions avec Andrée, l'amie de cette dernière. Il y a, entre autres, l'état de manque, le désespoir et le pessimisme, mais aussi l'oubli qui progressivement s'installe, et le goût pris à la solitude, la tentation que représentent d'autres jeunes filles, le souhait d'accueillir Andrée, l'amie d'Albertine etc....
Mais voilà qu'un télégramme lui annonce la mort d'Albertine d'un accident de cheval, alors que dans le même temps, deux lettres de celle-ci lui parviennent, la seconde le suppliant de la reprendre.
Alors un étrange travail de deuil va s'accomplir, le narrateur envahi à la fois par le souvenir des jours heureux, mais aussi par ses interrogations obsessionnelles sur l'homosexualité d'Albertine, qui se trouvent confirmées.
Mais, « avec le temps, va , tout s'en va », peu à peu le chagrin se dissipe, l'oubli s'installe, le narrateur arrive à réaliser, que, comme pour lui, il y avait plusieurs personnes en Albertine et s'installe alors un souvenir aimant et apaisé.
Le second chapitre nous fait ré-apparaitre Gilberte, la fille de Swann et d'Odette, veuve de Swann et remariée à Mr Forcheville, ce dernier ayant adopté et donné son nom à Gilberte. Sans entrer dans les détails et ils sont nombreux, ce chapitre est une sorte d'intermède, et très vite revient le «thème » d'Albertine, le dialogue avec Andrée révélant au narrateur, non seulement la nature lesbienne de leurs relations, mais aussi une autre version, totalement inattendue, expliquant le départ de sa «prisonnière ». Néanmoins, l'oubli serein d'Albertine continue de se faire chez le narrateur.
Dans le troisième chapitre, le narrateur fait enfin son voyage à Venise, avec sa mère, un séjour si souvent fantasmé et toujours reporté, une magnifique évocation de cette ville, un séjour qui semble aussi de façon symbolique solder la fin de sa jeunesse, mais dans lequel le « thème » d'Albertine réapparaîtra de façon énigmatique.
Enfin dans le dernier chapitre, assez court, le « train-train »de la vie mondaine reprend, mariage malheureux de Gilberte avec Saint-Loup qui la trompe...avec des hommes, sa mère Odette toujours à court d'argent et qui « tape » son gendre, et enfin grande amitié entre le narrateur et Gilberte, ce qui fait le lien avec le début de la recherche et notamment du Côté de chez Swann.

Au delà de cette analyse de ce tome que je trouve d'une très grande beauté, et avant d'aborder la lecture du dernier volume de la Recherche, je vous livre, chers Babeliotes, mon questionnement pour lequel la réponse vous paraîtra peut-être évidente, ou la question de peu d'interêt au regard des qualités de l'oeuvre.
Ce qui me pose question, est pour moi une énigme, c'est la grande place que prend l'homosexualité à partir de Sodome et Gomorrhe, suivi de la Prisonnière, et d'Albertine disparue, alors que ce point est moins présent dans les trois premiers tomes de la Recherche (sauf dans du Côté de chez Swann où le narrateur assiste aux ébats de Mlle Vinteuil et d'une des ses amies) , et je ne sais pas ce qu'il en est pour le dernier.
Je sais, comme vous, que Proust était lui même homosexuel. En construisant cette oeuvre, dans laquelle un narrateur se présentant comme un être complètement hétérosexuel mais où celui-ci donne dans son récit une si large place à l'homosexualité aussi bien masculine que féminine, et développe devant nous une sorte de quête obsessionnelle des liens lesbiens « fautifs » qui unissent les femmes, en particulier Albertine et ses « amies », Proust ne nous livre-t-il pas de façon détournée, son propre questionnement sur sa propre sexualité. Et le fait d'avoir tant remanié ces trois tomes ne reflète-t-il pas sa difficulté à aborder cette question?
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