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Critique de ClaireG


IMPRESSIONNANT !
Pierre Provost (1895-1986), très jeune, a appris les métiers liés au métal (fabrication d'outils-échoppes, ferronnerie, gravure). de la Première Guerre mondiale, il ramène quantité de « vases de paix » travaillés et gravés dans des douilles d'obus.

Dans l'entre-deux-guerres, il est contremaître d'outillage dans l'usine Hispano-Suiza.

Très rapidement, il s'engage dans la Résistance où il fabrique des cachets et des faux papiers d'identité. Arrêté en juillet 1943, il séjourne d'abord à Compiègne puis est transféré, en janvier 1944, au Petit Camp de Buchenwald. On lui assigne le triangle rouge des politiques et son numéro d'appel. Très malade, il échappe au crématoire grâce à deux infirmiers allemands résistants du Revier (infirmerie).

En août 1944, grâce à son enregistrement comme mécanicien de précision, il est transféré, et loué comme tous les déportés, à la Mibau-Siemens qui s'occupe des armes secrètes (V1 et V2). Il y reproduit les cachets des SS grâce à des complicités, fabrique de faux certificats médicaux qui permettent à plusieurs dizaines de prisonniers de reprendre des forces au Revier. Des cellules de résistance s'organisent dans les blocks, basées sur la solidarité et la confiance. Les consignes morales consistent à rompre l'isolement individuel voulu par les SS, à soutenir le moral et le physique dans bien des cas et à fortifier la camaraderie. Ces groupes établissent des relais de surveillance, fournissent des pièces chapardées, transmettent des messages. Au péril de la vie de chacun. le sabotage « invisible » sévit notamment à la Mibau où Pierre Provost est chargé de celui des pièces de commande du pilotage des V1. Lors des vérifications, il s'arrange pour que son travail se désagrège.

Papier, crayon, carnets sont interdits. Ecrire ou dessiner est punissable de mort. Les fouilles sont continuelles, comme l'appel du matin et du soir qui dure des heures par tous les temps, comme la schlague qui s'abat à tout moment. Chacun doit déployer de l'ingéniosité pour garder un tant soit peu de liberté personnelle. Avec l'aide de ses camarades, Pierre Provost fabrique et grave clandestinement différents objets et médailles dans des matériaux de fortune : crosse de fusil, pièces de monnaie, cuillères, cuivre, bronze, acier et argent, pierres. Il travaille ces pièces avec une minutie et une précision incroyables. Elles ont entre 5 et 11 cm et reproduisent « le visage du camp ». Elles sont des symboles d'espoir, de remerciement, de services rendus, et sont offertes aux résistants.

Le 11 avril 1945, le général Patton libère Buchenwald et Pierre Provost en profite pour subtiliser aux SS des photos, des documents, et ramener plus de 30 médailles et objets ainsi que ses carnets de croquis et de notes.

La fille de Pierre Provost est l'auteure de ce livre remarquable. Pour commémorer le 70e anniversaire de la libération de Buchenwald, elle a sélectionné les objets et lancé de multiples recherches pour retrouver des médailles en suivant les attributions consignées par son père. Les pièces numérotées et signées dès l'origine, sont décrites de manière très réaliste par des extraits de ses carnets et par des hommages rendus à son père par d'anciens détenus, toutes nationalités confondues.

Tous ces objets comportent l'agencement du camp : la place d'appel, la Tour et les miradors, les baraquements, les barbelés, le four crématoire, un wagon et sa butée, les feuilles de hêtre et de chêne, les déportés dans leurs travaux pénibles, les rayons de soleil de l'espoir, le triangle et le matricule, la date et le lieu. Et très souvent le chêne de Goethe et même la villa du directeur du camp. En moyenne sur 5 cm de diamètre !

De ce livre vraiment original, j'ai retenu deux objets bien que tous soient remarquables :
- le briquet à double allumage remis à la Croix-Rouge en remerciement pour l'acheminement des colis, gravé des éléments décrits ci-dessus,
- L'objet intitulé « le Chêne de Goethe », cuillère en argent sur socle en bois d'une branche de l'arbre, lui-même sur socle de pierre gravée en forme de proue. le chêne où Goethe est réputé s'être reposé souvent et sous lequel il a beaucoup écrit, était un symbole de tolérance, d'humanisme et du raffinement intellectuel allemand. A partir de 1937, moment de la construction du camp, il devient témoin de l'absurde et de l'horreur. En août 1944, une bombe incendiaire alliée met fin à son existence. Seule la souche est encore visible.

Tant et tant de détails autour de cette mémoire gravée pourraient encore être racontés. Je me retiens et vous invite vraiment à lire ce livre montrant une autre facette des conditions inhumaines vécues par ces hommes, femmes et enfants (car il y en avait à Buchenwald et devaient être cachés par les détenus) liés à la plus grande barbarie du XXe siècle.

De nombreuses photos des objets, des détails en gros plan, des pages de carnet, complètent à merveille ce livre d'hommage à un médailleur de talent et de grande humilité.

Mille mercis à Babélio et aux Editions Loubatières pour l'envoi de cet ouvrage incomparable reçu dans le cadre d'une Masse critique.


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