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Critique de Malaura


Après 30 ans d'absence, Claire revient en Bretagne à l'occasion du mariage d'une cousine. Prise à nouveau dans le tourbillon des émotions que lui inspire cette terre entre ciel et mer, elle décide de s'y réinstaller et redécouvre, entre angoisse et bonheur, les lieux et les personnes autrefois aimés, notamment Madame Ladon son ancien professeur de piano ou encore Simon, son premier et seul véritable amour, aujourd'hui maire du petit village de la CLarté, marié et père de famille. Entre eux, un amour irraisonné mais impossible, qui renaît aussitôt malgré le temps écoulé. Dès lors, Claire se met à arpenter inlassablement la lande, ses pas exclusivement orientés vers la silhouette de l'amant interdit, « errant dans le monde après son amour, regardant de loin son amour », son existence désormais réduite à cette citation du Livre de Ruth en exergue du roman : « Où il ira j'irai. Où il vivra je demeurerai. Où il mourra je serai enterrée. »
Autour de Claire, d'autres voix s'élèvent pour évoquer cette singulière cinquantenaire qui intrigue autant qu'elle subjugue. Paul, son frère, Juliette sa fille délaissée, le prêtre Jean, le Père Calève, Fabienne la postière….éclairent par petites touches la figure furtive et impénétrable De Claire, exprimant tour à tour l'amour impossible d'un homme et d'une femme, l'amour homosexuel de deux hommes, l'amour maternel tissé d'incompréhension et d'abandon entre une mère et sa fille, l'amour fraternel fondé sur une mystérieuse harmonie entre un frère et sa soeur.

« Les solidarités mystérieuses » créent des liens étranges avec le lecteur. le charme d'une écriture limpide, la magie d'un phrasé pur et lumineux ensorcèlent et séduisent. Les mots transparents de Pascal Quignard bercent doucement, impriment une sorte de sérénité, d'apaisement.
On ressort de cette lecture les yeux emplis des paysages sauvages et magnifiques de la Bretagne, les sens vibrant de ses odeurs d'algues et de sel, de ses visions de dunes et de falaises qui nous accompagnent tout le long de notre cheminement littéraire au côté De Claire, sauvageonne fantasque que chacun des personnages va tenter de comprendre, de dévoiler, de démystifier sans y parvenir vraiment tout à fait.

Femme curieuse et intrigante, Claire fait corps avec le paysage côtier. Telle l'anémone avec le bernard lhermite, elle vit en symbiose avec ce coin de nature qu'elle sillonne en tous sens dès les premières lueurs de l'aube et dont elle prend soin avec constance et acharnement. En retour la nature lui offre ses falaises en protection du monde extérieur, lui cède les anfractuosités secrètes de ses parois abruptes, et aussi ses lits de mousse, ses trous d'eau, la chaleur de sa roche ou la douceur venteuse de sa lande. "Un jour, elle expliqua que le paysage, au bout d'un certain temps, soudain s'ouvrait, venait vers elle et c'est le lieu lui-même qui l'insérait en lui, la contenait d'un coup, venait la protéger, faisait tomber la solitude, venait la soigner."
Sa folie douce contamine son entourage, personnages et lecteurs, les incitant à faire attention à l'environnement, à regarder autour de soi, à observer et contempler les beautés que recèle la nature.

Les êtres qui peuplent le roman de Pascal Quignard servent avant tout à magnifier une côte bretonne que l'auteur nous révèle à la façon d'un peintre, nous la donnant à voir, à sentir, à humer, à ressentir par tous les pores de notre peau et par tous les sens de notre corps.
Claire, Paul, Juliette, Simon, Jean ne semblent exister que par ce coin de lande entre ciel et mer.
La narration de leur existence conserve la couleur un peu délavée des êtres qui passent comme un souffle mais qui, paradoxalement, laissent derrière eux un souvenir fugace et persistant comme une trainée d'écume sur le rivage.
A l'instar de l'évanescente Claire, colonne vertébrale du récit, quelque chose en eux est fortement, irrévocablement ancrée dans cette terre bretonne. Ils la façonnent, la dessinent, l'exécutent dans toute la subtilité de ses nuances et de ses demi-teintes. le roman s'empreint alors de cette attirance, de cet incommensurable amour.
Le vent, les vagues, la lande, les falaises, le lichen, le granit, le petit port de pêche, le village à fleur de falaise, les toits d'ardoise, les goélands, les nuages blancs sur la mer grise…un panorama enchanteur s'anime, se matérialise, s'exprime dans la douce mélancolie d'une vieille carte postale ou dans les teintes pastels et ombrées d'une aquarelle maritime.

Saint-Enogat, Saint-Lunaire, l'église de la Clarté, le site des Pierres couchées…autant de lieux qui jalonnent le parcours solitaire De Claire et que l'on suit pas à pas, le long des chemins côtiers, des plages et des escaliers de granit, le nez au vent, promeneurs silencieux, dans l'ombre d'un personnage qui réussit à apposer sa délicate empreinte dans la roche de notre mémoire comme un fossile dans la pierre.
Dans la polyphonie des voix, dans l'harmonie des tonalités qui esquissent ce très beau portrait de femme, «Les solidarités mystérieuses » devient un livre-hommage, un livre-découverte, le livre-célébration d'une Bretagne habitée de romantisme, douce, libre, suave et sensuelle…
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