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Critique de nescio667


Joseph Vaughan ne s'y attendait pas du tout. Et pourtant, en ce jour de juillet 1939, la Mort vient prendre son père, et ce fut le point de départ du cauchemar dans lequel baignerait le reste de son existence. Car c'est bien quelques temps plus tard que le premier corps de petite fille fut découvert. Alors que, de loin en loin, les bruits de la guerre qui déchire l'Europe atteignent le petit village d'Augusta Falls, ce sont surtout les découvertes de cadavres de petites filles qui vont rythmer la vie de la communauté. Pour la police locale, dépassée par ce que l'on ne nommait pas encore un ‘sérial killer', il n'y a ni indice ni début de piste. Les crimes s'espacent parfois d'une année et, hormis qu'à chaque fois une gamine en soit la victime, ils ne semblent répondre à aucune logique. Pour la population, il est clair que seul un ‘étranger' soit capable de telles horreurs. Et justement, un étranger, le village en compte un, toute une famille même, et des pires qui soient en cette période de guerre, puisqu'ils sont allemands. Progressivement, les Kruger, voisins et amis de toujours de Joseph et de sa mère, vont revêtir malgré eux le costume un peu trop taillé sur mesure de boucs émissaires. ‘Les gens ont peur et quand les gens ont peur, ils réfléchissent de travers' dira le shérif Dearing ; sa clairvoyance n'empêchera pourtant pas les malveillances et vexations dont les Kruger deviennent victimes de tourner au drame.
S'il est bien présenté par les éditions Sonatine comme un polar ‘différent' de la production habituelle mettant en scène un tueur sériel, ‘Seul le silence' mérite toutefois bien d'autres qualificatifs, tous d'ordre élogieux. Peut-être, s'il avait conservé son titre original (cf. le titre de cet article…), peut-être les lecteurs auraient-ils pressenti le lyrisme, l'empathie et la mélancolie qui, une fois les premières pages parcourues, les auraient happés pour ne plus les lâcher. le style éminemment fluide, riche et empreint de compassion de Ellory rappelle ainsi les meilleurs pages de Dennis Lehane, celui de ‘Un dernier verre avant la guerre' et, surtout de ‘Un fleuve de ténèbres', dont l'atmosphère lourde de menaces à venir semble également avoir transpiré jusqu'en ces pages. A suivre l'enfance de Joseph Vaughan, baignée du sang des petites filles qu'il côtoyait à l'école ou dans ses jeux d'enfant, nous plongeons dans la vie d'une bourgade paumée de Georgie, et sans doute n'est-ce pas par hasard si la violence faite à ses enfants intervient au moment même où les enfants de toute l'Amérique sont envoyés se battre en Europe. Car c'est bien d'une guerre qu'il s'agit ici, celle d'un garçon d'abord, qui tente d'opposer ses maigres moyens pour protéger les filles de son village : ‘il me semble que depuis la mort de Papa, rien n'est aussi important que ce qui est arrivé à ces petites filles'. Celle d'un homme ensuite, poursuivi par ses fantômes personnels qui, il s'en convainc progressivement, ne le laisseront en paix que lorsqu'il aura lui-même mis fin à l'hécatombe : ‘Certains fantômes –peut-être tous- étaient là, mais pour le moment, ils se tenaient tranquilles. Je fermai les yeux et essayai de voir le visage de ma mère, sans y parvenir. Mon père était un monochrome flou, comme le souvenir d'une photo décolorée. Et les petites filles- toutes, côte à côte, attendant peut-être leurs ailes : attendant de devenir des anges'. Devenu adulte –et écrivain- Joseph devra effectivement se rendre à l'évidence : le véritable meurtrier n'a jamais été mis hors d'état de nuire et c'est à lui qu'il s'en prend cette fois : ‘J'ai l'impression que ça a été là toute ma vie. Ca a commencé quand j'étais enfant, et…bon sang, tout ce que j'ai fait depuis semble avoir été souillé par ça'. Tout au long de sa jeunesse, le shérif, la maîtresse d'école, les Kruger, Reilly, l'ami de la famille et la mère de Joseph seront ses principaux et précieux points de repères. Une galerie de personnages hauts en couleurs, formidablement crédibles et qui éveilleront des souvenirs diffus, des échos de fraternité romanesque aux lecteurs de Steinbeck ou de Stephen King, deux habitués des petites villes américaines et des enfances secouées par le bruit et la fureur des adultes. Mais s'il est un personnage qui manque dans ce tableau idyllique, c'est bien sûr celui de l'assassin : il planait au-dessus d'Augusta Falls, il a profité de la mort du père de Joseph pour réduire son enfance en pièces, et sera un des seuls à s'accrocher à lui à l'âge adulte. Tragique, parfois sanglant mais jamais racoleur, ‘Seul le silence' brasse avec humanité et sans se prendre au sérieux de multiples thèmes ; au plus sombres (l'enfance brisée, la culpabilité, la perte, la violence, la peur et l'étroitesse d'esprit) répondent heureusement de plus lumineux, traversés par quelques étincelles d'amour et de compréhension : la fraternité, la générosité, l'amitié et la solidarité. Une grande et belle histoire, qui prend son temps pour se déployer et vous entraîner avec elle, et que l'on quitte à regret.
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