AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de michfred


Phèdre se meurt,Phèdre veut mourir.

Elle se traîne dehors, sous le soleil dont elle descend, pour le voir une dernière fois. Oenone aime Phèdre, elle l'a nourrie, elle la couve avec l'amour dévorant et inconditionnel des nourrices ou des mères. Elle la pousse à parler, à dire ce qui la dévore. Et Phèdre, affaiblie, cède: elle avoue son amour pour Hippolyte, le bel indifférent, voué au culte de Diane,le fils de l'Amazone et.....son beau-fils.

Dès lors, comme si elle avait mis le doigt dans un engrenage, sa parole va l'entraîner à d'autres paroles, à d'autres aveux, la précipitant dans la faute comme le tourbillon jetait Ulysse - de Charybde en Scylla.

Son deuxième aveu, Phèdre l'adresse à Hippolyte lui-même - effarouché, fuyant, n'osant comprendre. Puis elle est entraînée à des mensonges: devant son époux, revenu d'entre les morts contre toute attente, elle accuse son beau-fils d'avoir cherché à la séduire, provoquant la malédiction du fils par le père, et cette parole-là, dans la Grèce des mythes et des monstres, tue plus sûrement qu'un coup d'épée.. Enfin, devant le désastre, Phèdre se livre à un troisième aveu, devant celui-là même qui crée la faute: son époux. Expiant enfin son crime par une mort tragique, elle "rend au jour qu'elle souillait toute sa pureté"...

Jouée devant la cour par les petites pensionnaires de Mme de Maintenon à Saint Cyr, la pièce était si passionnée et jouée avec tant de flamme par ces jeunes filles, que la vieille bigote qui fit révoquer l'édit de Nantes à Louis XIV s'en émut: elle demanda à Racine de ne plus écrire que des pièces chrétiennes, édifiantes.

Cette merveilleuse tragédie jette donc les derniers feux de la passion racinienne. Avec quel éclat!

Les monstres de tout poil, les chevaux fous d'Hippolyte,( celui-qui-lâche-les -coursiers), la mer étincelante où dorment d'un oeil les monstres marins, les sombres paluds infernaux où siège Minos, père de Phèdre et juge aux Enfers, l'ombre terrible du Minotaure, les dédales du labyrinthe où s'étire le fil d'Ariane, leTaureau blanc de Pasiphaé, et surtout le soleil grec, éclatant, écrasant, sans pitié, donnent à cette passion mythique son décor désigné..

Mais Phèdre n'est pas qu'une créature païenne mue par ses sens, manipulée par la vengeance de Vénus qui s'acharne sur tout son sang,elle est aussi cette" chrétienne à qui la grâce a manqué", cette janséniste consciente de ses fautes, honteuse de ce qu'elle est devenue, de ce qu'elle fait ou dit, et qui cherche dans la mort le châtiment que les dieux lui refusent.

Racine est celui qui a le mieux compris la tragédie grecque et qui a su aussi l'adapter aux problématiques de son temps. Avec lui, Phèdre ne prend pas une ride, elle est toujours la puissante incarnation de cet amour-maladie dont parlait déjà Sapho : "Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue, mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler, je sentis tout mon corps et transir et brûler" mais elle aussi une sorte de Princesse de Clèves sans la volonté, qui a une conscience aiguë du mal qu'elle crée et qu'elle affronte, et qui souffre de son impuissance et de sa déchéance.

Je ne me suis jamais lassée de lire, de relire Phèdre- et je me suis toujours réjouie et émerveillée de la fascination qu'elle exerce sur tous les publics, y compris très jeunes. Tous sensibles à ses images, à sa musique, à sa violence, à son déchirement.

Comme si la qualité exceptionnelle de cette tragédie, malgré les siècles, restait aussi aveuglante que le soleil grec...

Commenter  J’apprécie          200



Ont apprécié cette critique (15)voir plus




{* *}