Citations sur L'arbre aux fées (27)
Le parc était un vaste plateau à l’extrémité de la vallée de la rivière North Esk en terrain alpin. La petite ville de Glorys Crossing s’étendait au bout du bassin naturel où la rivière Settlers allait se jeter dans le fleuve Tamar. On trouvait plusieurs lacs de montagne dans la région, mais aucun ne possédait la capacité de faire tourner une centrale hydroélectrique. Aussi le gouvernement avait-il décidé d’en créer un. Un barrage avait été érigé sur la Settlers, formant une étendue d’eau qui grandissait chaque jour et qui avait été ironiquement baptisée Lake Glory en l’honneur de la petite ville qu’il engloutissait peu à peu.
Taylor avait toujours soupçonné que le poste à Glorys Crossing avait été créé pour lui, un lieu parfait pour planquer un employé brisé.
Plus que tout au monde, il voulait que les choses redeviennent comme avant. Mais ce n’était pas possible, pas sans Claire. Il aimait tellement sa famille que ça en devenait douloureux.
"Alors, qu’est-ce que tu fiches ici, seul sur ce caillou ? "se demanda-t-il. Ce n’était pas la première fois qu’il se posait cette question depuis son arrivée, et il ne pouvait toujours pas y répondre. Le jour où il pourrait serait peut-être celui où il rentrerait à la maison.
Autrefois, il avait une femme, une fille, une carrière et du bonheur à revendre. Désormais, il ne lui restait plus qu’une carrière sur le déclin
« La vie peut basculer en un clin d’œil », disait toujours son père.
C’était la première fois qu’il voyait de la neige depuis sa mutation en Tasmanie, et ça ne lui plaisait pas plus que ça. Après sept années à travailler pour Parcs & Nature à l’intérieur des terres, il avait passé les trois suivantes dans les hauteurs enneigées de l’État de Victoria – un boulot de rêve pour n’importe quel ranger. Mais ça, c’était avant de perdre Claire. Elle avait alors huit ans. Ça faisait un an jour pour jour. Taylor serra les dents tandis que quelque chose se mettait à trembler au plus profond de lui, quelque chose de pire que du chagrin et de la douleur, comme l’agonie d’un souvenir bien-aimé.
La pleine lune, qui s’était faufilée entre les nuages chargés de neige tout au long de la nuit, se trouvait maintenant quelque part derrière le mont Saddle, au nord-est : une montagne ainsi nommée à cause de sa ressemblance avec la selle d’un gardien de bétail. Brisant le silence, un diable de Tasmanie hurla de l’autre côté du lac. Taylor se demanda s’il s’habituerait un jour à ce cri. Il soupira de nouveau. Son souffle avait embué la vitre. Tristement, il tendit un doigt et écrivit un nom dans la buée : Claire.
Les nuits étaient pires. Bien pires. Taylor sentait l’obscurité appuyer contre la petite fenêtre de la chambre. Les murs de grès encaissaient les assauts de la météo sans broncher, mais la vieille toiture en bardeaux résistait moins bien, et des courants d’air froid s’infiltraient par le vide sanitaire. Construit jadis par des forçats, le cottage appartenait à Parcs & Nature, qui y logeait ses rangers. Taylor habitait là depuis dix mois environ mais n’avait pas changé grand-chose à l’intérieur.
Le téléphone se mit à sonner dans la cuisine, de l’autre côté de l’appartement. Taylor entendit les pas de Maggie sur le plancher, sa voix étouffée au bout du couloir comme elle répondait. Il frotta son menton hérissé par une barbe de trois jours et prit conscience du goût désagréable dans sa bouche. Il fallait qu’il se douche, qu’il se lave les dents et qu’il se rase. Mais dès qu’il se leva, une douleur aiguë dans les jambes le fit retomber sur le lit.
Claire a disparu !
Repoussant la couette, Taylor s’assit au bord du lit. Son débardeur et son caleçon étaient trempés de sueur. Alors que ses yeux s’accoutumaient à la pénombre, son regard fut attiré par le motif de roses de la couette. Les taches rouges sur fond blanc lui rappelaient la dernière fois qu’il avait vu Claire…