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Critique de ManouB


En Afghanistan (ou dans un autre pays d'Orient) une femme veille et protège son mari, blessé d'une balle dans la nuque par un des hommes de sa propre milice. Il semble être endormi, mais est en réalité dans un coma profond, quasiment mort, depuis des semaines. C'est un héros de guerre, elle le sait et l'admire pour cela. L'imam vient la voir tous les jours et lui a prédit son réveil, mais elle ne sait pas si elle doit le croire, et surtout si elle le souhaite vraiment. En attendant, elle prie sans discontinuer, tout en s'occupant avec minutie de lui.
Au-dehors les combats font rage...la guerre approche. Elle veille sur son mari jour après jour, remplaçant sa perfusion, lui faisant sa toilette, tout en s'occupant de ses deux petites filles qu'elle n'autorise pas à entrer dans la chambre.
Mais il lui faut quitter la maison pour mettre ses filles à l'abri chez sa seule parente, une tante à la réputation sulfureuse, que son mari n'aime pas du tout. Son dévouement lui pèse, mais elle revient jour après jour.
Elle ne sait pas s'il l'entend mais peu à peu, s'enhardissant chaque jour davantage, elle va se confier à lui, au rythme des gouttes qui s'écoulent dans la perfusion...et de l'appel du muezzin. Elle se livre dans un long monologue et raconte son enfance, sa vie de jeune femme, faite de fréquentes humiliations, mariée très jeune à cet homme inconnu, en l'absence du principal intéressé, elle ne fera sa connaissance que trois ans plus tard. Mari violent et maladroit, souvent absent, elle ne fera que le croiser, et il lui fera longtemps peur, avant que peu à peu, elle apprenne à l'aimer. Elle formule à haute voix ses doutes, ses peurs, ses désirs et ses frustrations.
Il devient son "syngué sabour", sa pierre de patience, selon la culture perse et ce que lui apprend sa tante, cette pierre à laquelle il est autorisé de faire des confessions, jusqu'à ce qu'un jour elle éclate et que, la personne qui se confie, soit libérée pour toujours de ses tourments.
Après le temps des prières et de l'espoir, elle se met en colère et se révolte. Puis peu à peu renoue avec ses désirs, tabous dans sa culture, et se réapproprie son corps, humilié et caché trop longtemps. C'est alors en femme libre qu'elle s'exprime, elle devient même provoquante, attendant avec espoir qu'un jour son mari réagisse.

Ce roman a obtenu le Prix Goncourt en 2008. Je ne l'avais jamais lu, mais comme je l'ai trouvé cet été dans une boite à livre, c'était l'occasion que je le fasse. J'en avais beaucoup entendu parler lors de sa sortie, mais aussi lors de la sortie du film éponyme, adapté par l'auteur lui-même en 2013, avec pour co-scénariste, Jean-Claude Carrière.
Il s'agit du premier livre de l'auteur écrit en français, ces trois précédents romans ayant été écrits dans sa langue natale, le persan. Il dit avoir voulu aborder le sujet des tabous, dans un autre langue que la sienne.
Vous l'aurez compris, il s'agit d'un huis-clos qui se déroule dans la chambre où dort le mari. La femme déroule son long monologue sans que jamais celui-ci ne nous lasse. Peu à peu, le lecteur met une image sur son visage, imagine sa vie passée, le pays où elle vit. Elle n'a pas de nom, mais cela ne nous empêche pas de la connaître.
L'histoire de cette femme est poignante et l'auteur sait particulièrement bien décrire ce qu'elle ressent ce qui rend ses propos très touchants. La manière dont peu à peu la jeune femme s'approprie sa propre parole, sa vie, et même son corps est particulièrement émouvante. Elle aime encore son mari et redoute de le voir se réveiller et redevenir comme il était. Elle aimerait une vie plus douce avec lui ou alors préfèrerait la solitude et vivre sans lui...
L'ambiance est particulière car beaucoup de choses sont suggérés et non pas dites. Certains passages sont très réalistes, d'autres nous font penser que la jeune femme rêve, ou est tombée dans une sorte de transe, ou de folie passagère, et qu'elle parle toute seule à son mari absent, ou même déjà mort et le doute à ce sujet s'installe.
L'auteur dit avoir eu envie d'imaginer l'émancipation d'une femme, sa révolte face à la violence vécue par les femmes afghanes dans leurs propres familles.

Ecrivain et cinéaste, Atiq Rahimi est né en Afghanistan en 1962, où il est élevé dans une famille occidentalisée. Il fait ses études au lycée franco-afghan de Kaboul, ce qui explique qu'il maîtrise parfaitement le français. En 1973, son père et son oncle sont emprisonnés, puis ses parents s'exilent en Inde. Lui vit la guerre de 1979 à 1984, avant de se réfugier au Pakistan, puis de demander l'asile politique à la France. Son frère sera assassiné en 1989. C'est ce qui le pousse, dit-il, à continuer à écrire sur son pays.
Lien : https://www.bulledemanou.com..
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