Animal regard

Ecoute, écoute la longue incohérence de la terre
et de la parole. Tout au long de la distance
murmure la monotone perfection d’une mer.
Par oublieuse pudeur un astre se fait velours
d’un bleu profond dans la corolle du silence.

Je ne peux remettre l’amour à un autre siècle
je ne peux pas
même si le cri s’étrangle dans ma gorge
même si la haine éclate crépite brûle
sous des montagnes grises
et des montagnes grises

Je ne peux ajourner cette étreinte
qui est une arme au double tranchant
d’amour et de haine

Je ne peux rien ajourner
même si la nuit pèse des siècles sur mes épaules
même si tarde l’aurore indécise
je ne peux remettre ma vie à un autre siècle
ni mon amour
ni mon cri de libération

Non je ne peux ajourner le cœur.

De la maison blanche
on aperçoit la mer
le dos fauve
de la plage
nu

femme de sable
allongée sinueuse
dans la fraîcheur bleue

Une blanche voile
d’une fraîche minutie

au regard offre la brise
au silence la mer

La femme sommeille
vivante
dans l’écume
du silence

Je suis la pauvreté illimitée d’une page.
Je suis un champ abandonné. La marge
sans respiration.

Mais le corps jamais ne cesse, le corps possède
la science exacte pour naviguer dans l’espace,
le corps s’ouvre au jour, circule dans le jour-même,
le corps peut vaincre l’ombre froide du jour.

Tous les mots s’éclairent
du feu réel du corps qui se dévêt,
tous les mots restent nus
dans ton ombre brûlante.

Aujourd’hui des mots sont arrivés comme des feuilles
sur ta nuque de silence.
Comme des oiseaux qui disent encore plus le ciel,
comme des pierres qui disent encore plus la terre,
aujourd’hui sont arrivés des mots qui disent
notre rencontre fugitive.

Ce que je sais de toi : ignorance
conquise, mouvement des lèvres,
forme déclinée du vertige
aridité, aridité, visage au ras
des perspectives fermées.
[..]

Ce que je sais de toi : regarder sans te voir,
fuite abrupte, mer qui se ferme sous les paupières,
pupille violente, longue lame,
pure facilité,
[..]
souffle que je respire,
lueur, baiser dans la pierre.

Je te vois abondante et ma soif augmente,
encore obscure, renaissante déjà.
Je veux clairement me reconnaître en toi.
Je me livre sans miroirs, amalgame,
de ton silence je t’enveloppe et t’assiège.
Tu es plus exacte, plus dure, plus vivante.

Ton refus grandit comme un ciel
par-dessus le mur.

J’accueille l’autre que tu es, autre tu renais,
et tu t’égales toi-même, car tu es aussi la mer.
Ton corps dense s’approche, ou bien s’éloigne.
Sur tes cuisses claires,
il y a le parfum d’une nuit inextinguible.

Je t’écoute immense par-dessous les bruits.
Diverse et verte, tapis glissant
sur tes épaules : tu t’éveilles.
Je ne te demande aucun nom, tu es immersion
dans la chaleur féconde, ondulation des fruits
sur la table de pierre

Ici, où le soleil est une chair qui prend feu,
où la maison est un nom de mer,
où les fruits et les miroirs
font mûrir le corps solidaire :
c’est l’Eté.

Ici tu es
lente vérité dans l’accalmie du sang :
circulation de noms et de poissons.

Ici, à la soif des noms et des êtres,
tu réponds, corps de la mer, colonne réelle,
et tes accidents viennent comme des vagues.

J'épelle d'anciens mots généreux
Fleur fille famille enfant
frère baiser fiancée
mère étoile musique
Ce sont les mots croisés de mes rêves
des mots enfouis dans la prison de ma vie
et cela toutes les nuits du monde une seule et longue nuit
dans une chambre solitaire