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Critique de michfred


Une écriture paisible, large, forte, qui laisse passer l'air.

Une vie humble, pleine d'épreuves, jalonnée de pertes - mais dans les mailles hasardeuses de son filet , que de poissons, brillants comme des pépites!

De quoi donner un sens à la souffrance d'une vie.
De quoi parler de joie, malgré la mort, la solitude ou le malheur.

Impossible de résumer à quelques lignes factuelles ce grand roman paysan et montagnard, si ancré dans le pays de Suisse romande, et pourtant si universel, si élevé,  si aérien.

 Si existe-en-ciel.

Essayons quand même. Samuel Belet est orphelin très jeune: sa pauvreté, sa solitude le désignent à une vie d'exploitation et de labeur obscur. Pourtant il y a quelque chose en lui qui le porte au travail bien fait, à  la joie d'apprendre, d'aller de l'avant et de s'élever.

Ses maitres l'apprécient, louent son sérieux, son ardeur à  l'ouvrage. Déjà le régent -l'instit' du village- entrevoit pour ce petit paysan courageux un autre avenir que celui de journalier ou d'ouvrier à tout faire...mais le destin met sur sa route une jolie fille, coquette, rieuse et tellement plus légère que le grave Samuel...il l'aime , elle le quitte.

Toute cette ligne de vie bien tracée et opiniâtre se brise. Samuel quitte son protecteur, son maître, son village, ses amis et se livre au hasard avec ses mains habiles et son coeur pur. Mais sans cette confiance , sans cet optimisme qui lui donnaient des ailes.Samuel ira se frotter à la grande ville, et verra, sans la comprendre, la Commune de Paris. Il aura d'autres amours, d'autres amis. Mais pour mieux revenir au pays.

Un roman de formation régionaliste alors? Pas du tout.

Revenir , mais histoire de boucler la boucle, de ne pas laisser le hasard signer au bas du parchemin. Lentement, ses amitiés, ses amours, son expérience -difficile- de la "paternité " avec le fils d'un autre lui apprennent  des choses sur lui-même et sur les autres.

Au couchant de sa vie, il devient pêcheur, et ce n'est pas un hasard.

Samuel Belet relève un à un les filets de son passé pour y lire les secrets de son âme et les battements de son coeur, pour mieux accueillir un savoir philosophe sur les êtres  et les choses, pour apprivoiser la vieillesse et la mort, pour ne pas être venu là pour rien.

La Vie  de Samuel Belet est un  "bildungsroman" moins "performatif'" que spéculatif et spéculaire, qui, comme l'eau du lac, reflète et ranime les années défuntes, les âmes mortes,  donne à lire les sentiments incompris, les désirs mystérieux, et éclaire avec une tendresse poignante la complexité d'un coeur simple.

Magnifique lecture, très GRAND livre,  mythifié et admiré en Suisse. Quasi ignoré en France ou réduit à cette étiquette  régionaliste  qui est plus qu'une ignorance, une méprise!

Pourtant Ramuz est, de l'aveu de l'auteur de Regain, le maître de Giono. Sa langue, déjà belle , charnelle, lyrique dans ce roman de jeunesse, évoluera vers des formes incroyablement modernes, puissamment originales qui lui vaudront l'admiration inconditionnelle d'un autre grand styliste, d'un autre Ferdinand, non pas Charles- Ferdinand, mais Louis-Ferdinand , eh oui, Céline en personne!

 Ces hautes  filiations vaudraient bien que les lecteurs français aillent faire un petit tour dans la barque de ce roi-pêcheur valaisan...

Quant à moi, je dois reconnaitre avoir éprouvé,  en le lisant, une vraie révélation littéraire, en même temps  qu'une émotion forte  - comme devant une parole absolument sincère et essentielle.
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