FRANCIS JAMMES
J’aime l'âne si doux
marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;
et il porte les pauvres
et des sacs remplis d'orge.
Il va, près des fossés,
d'un petit pas cassé.
Mon amie le croit bête
parce qu'il est poète.
Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.
Jeune fille au doux coeur,
tu n'as pas sa douceur :
car il est devant Dieu
l'âne doux du ciel bleu.
Et il reste à l'étable,
fatigué, misérable,
ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.
Il a fait son devoir
du matin jusqu'au soir.
Qu'as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l'aiguille ...
Mais l'âne s'est blessé :
la mouche l'a piqué.
Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.
Qu'as-tu mangé petite ?
- T'as mangé des cerises.
L'âne n'a pas eu d'orge,
car le maître est trop pauvre.
Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l'ombre ...
La corde de ton coeur
n'a pas cette douceur.
Il est l'âne si doux
marchant le long des houx.
J'ai le coeur ulcéré :
ce mot-là te plairait.
Dis-moi donc ma chérie,
si je pleure ou je ris ?
Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme
est sur les grands chemins,
comme lui le matin.
Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?
Je doute qu'il réponde ;
il marchera dans l'ombre,
crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs.
De l'angelus de l'aube à l'angelus du soir, 1897
Contrairement à ce qu'on a pu croire ,Poésie n'est pas morte.Elle n'est qu'endormie et demeure indispensable à la pensée humaine .
L'ADIEU (Guillaume Apollinaire)
j'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
Oh ! l'automne, l'automne a fait mourir l'été
Dans le brouillard s'en vont deux silhouettes grises
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend...
BARBARA (Jacques Prévert) Extrait p 778
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Epanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas.
LA RETRAITE (Alphonse de Lamartine) extrait p327
Je sais sur la colline
Une blanche maison ;
Un rocher la domine,
Un buisson d'aubépine
Est tout son horizon.
Là jamais ne s'élève
Bruit qui fasse penser;
jusqu'à ce qu'il s'achève
On peut mener son rêve
Et le recommencer.