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Critique de nadejda


Henri de Régnier aura aimé Venise en toutes saisons mais plus particulièrement en octobre et novembre :
« Car me voici encore une fois à Venise en ces mois d’octobre et de novembre que j’y aime entre tous. Certes, cette fois encore, j’en goûte le charme reposant et mélancolique. J’y retrouve ce plaisir de vivre que je ne ressens qu’ici, cette même curiosité où je suis sensible à toutes les variations de la lumière, à toutes les nuances des couleurs, à tous les aspects des choses. Venise est inépuisable et on ne la connait jamais entièrement. p177-178

Il l’aura aimé d’un amour profond, quotidien, pas avec un enthousiasme éphémère, excessif mais dans un lien qui se crée et se resserre au fil du temps, un lien indéfectible.

Il en aime les murs rongés par l’humidité autant que les ors, les fresques et le confort du Florian qui accueille et réchauffe. Il admire les peintres vénitiens (Titien, Giorgione, Longhi …et son cher Tiepolo), il aime vivre dans les vieux palais décatis où règne un froid humide que même des grands feux ont bien du mal à combattre, dont les murs lépreux se desquament, autant que dans ceux qui ont gardé ou retrouvé leur confort et leur beauté d’antan, comme son cher palais Dario où il séjournera souvent, reçu par ses amies la comtesse de La Baume et Mme Bulteau.

Venise est aussi le lieu de rencontres dans les cafés ou lors d’errance au gré des ruelles et sur les canaux où l’on flotte entre brume et clapotis de l’eau. « Venise est un lieu de flâneries infinies.» Il y croise Lord Byron, Richard Wagner mais y retrouve aussi des amis tel Edmond Jaloux ou les excentriques Julien et Fernand Ochsé. Ce dernier emporte lors de ses sorties en gondole un gros globe terrestre qu’il fait placé à la proue et sa collection de boîtes à musique qu’il remonte pour leur fait jouer un petit air sur le parcours et jusque dans le restaurant auquel ils se rendent.

Il l’aime en toutes circonstances, même s’il y séjourne malade au fond d’un lit car il en apprécie alors les bruits les plus furtifs qui lui parviennent, l’écho de la voix d’un gondolier. Elle est toujours là en lui. Et ce qu’il souligne, quelle que soit la saison, c’est la qualité de la lumière, de la solitude et du silence propre à cette cité unique.
«  La pluie tombe régulièrement et doucement sur les feuillages du jardin Venier. L’air est frais. Le ciel est d’un gris lumineux. J’ai fermé la fenêtre sur le murmure pluvieux du dehors. Plus un bruit. Il me semble que j’ai fait prisonnier le silence… » p 143

Pas d’envolée lyrique, pas d’emphase, un attachement qui se dit et se renouvelle simplement au fil des années et des saisons. Régnier s’imprègne de l’atmosphère de la ville, il l’aime profondément, il s’y sent lié étroitement, elle l’habite même lorsqu’il s’en éloigne. Il la retrouve dans Paris, il craint pour elle durant la guerre de 14-18 comme on craint et s’inquiète pour un être aimé, peut-être en danger de mort, au loin :
« La guerre ! Que de fois, durant ces années, n’ai-je pas fait ce même rêve éveillé ! Que de fois ma pensée inquiète n’est-elle pas allée vers Venise menacée, en attendant l’heure où elle serait enfin Venise sauvée ! (…)
Je voyais la ville illustre panser ses plaies. J’imaginais ses monuments les plus précieux protégés par des sacs de sable et par des remparts de béton. Malgré ces précautions, que de buts irréparables n’offrait-elle pas, et la nouvelle du désastre nous parvenait ! Tantôt c’était la belle fresque de Tiepolo à l’église des Scalzi réduite en poussière, tantôt nous apprenions qu’une bombe avait effondré la voûte de Santa Maria Formosa. Si le voisinage de la gare de chemin de fer et de l’Arsenal expliquait ces deux attentats, que visait l’avion autrichien dont l’engin s’abattit au parvis de la basilique de Saint Marc ? La beauté même de Venise était une cible. p 193-194

Henri de Régnier sait communiquer sa passion pour la Sérénissime. Il nous la donne si bien à voir et sentir qu’elle devient nôtre et qu’à sa suite l’on se prend à répéter :
« L’enchantement de Venise m’environne de son sortilège, et soudain, m’apparaissent, en un raccourci mystérieux, les jours et les heures de ma vie vénitienne, et tous les visages aimés ou amis qui en furent la joie ou le plaisir. Je revois mon étroite chambre de l’hôtel Regina qu’emplissaient à minuit les cloches de la Salute ; je revois le mezzanine aux beaux stucs du Palais Vendramin ai Carmini, je revois toute Venise, ses églises, ses palais, ses jardins, sa Lagune ; je revois l’humble Casa Zuliani et le Palais Venier et la chambre des fièvres heureuses au cher Palais Dario, et ce clair de lune où, pour la première fois, je suis monté sur l’Altana. » p 276-277
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