J’ai appris que c’est ta maladie émotionnelle et non une puissance externe qui t’opprime à toute heure de la journée, même si aucune pression extérieure ne s’exerce contre toi. Tu te serais depuis longtemps débarrassé des tyrans si tu étais toi-même animé d’une vie interne en bonne santé. Tes oppresseurs se recrutent dans tes propres rangs, alors qu’ils provenaient naguère des couches supérieures de la société. Ils sont même plus petits que toi, petit homme. Car il faut une bonne dose de bassesse pour connaître d’expérience ta misère et pour s’en servir ensuite pour mieux t’exploiter et mieux t’opprimer.
Tu tiens tout entre tes mains, ta vie, celle de tes enfants, ton marteau et ton stéthoscope. Tu hausses les épaules et tu me prends pour un utopiste, peut-être pour un « rouge ». Tu me demandes quand ta vie sera agréable et sûre, petit homme. Voici ma réponse : Ta vie sera agréable et sûre lorsque la vie comptera plus à tes yuex que la sécurité, l'amour plus que l'argent, ta liberté plus que la « ligne du parti » ou l'opinion publique ; lorsque l'atmosphère de Beethoven ou de Bach sera l'atmosphère de ta vie...
J’ai découvert que ton esprit est une fonction de ton énergie vitale, en d’autres termes qu’il y a unité entre le corps et l’âme. Je me suis rué dans cette brèche, et j’ai pu montrer que tu projettes ton énergie vitale quand tu te sens bien et quand tu aimes, que tu la rétractes vers le centre de ton corps quand tu as peur.
Si, petit homme, tu as de la profondeur en toi, mais tu l’ignores. Tu as une peur mortelle de ta profondeur, c’est pourquoi tu ne la sens ni ne la vois. C’est pourquoi tu es pris de vertige et tu chancelles comme au bord d’un abîme, quand tu aperçois ta propre profondeur. Tu as peur de tomber et de perdre ainsi ton « individualité » si jamais tu obéis aux pulsions de la nature. Quand, avec la meilleure bonne foi, tu tentes de parvenir à toi-même, tu ne trouves jamais que le petit homme cruel, envieux, goulu, voleur. Si tu n’étais pas profond dans ta profondeur, je n’aurais pas rédigé ce texte. Je connais ta profondeur, je l’ai découverte quand tu venais me voir pour confier au médecin tes misères. C’est cette profondeur en toi qui est ton avenir.
Tu es d’avis que la fin justifie les moyens, même les moyens les plus infâmes. Tu as tort : la fin est contenue dans la route qui y mène. Chacun de tes pas d’aujourd’hui est ta vie de demain.
Ecoute la publicité sur un laxatif et tu sauras qui tu es et comment tu es.
On dit que vous êtes stupides ; moi, je prétends que vous êtes intelligents mais lâches. On dit que vous êtes le fumier de la société humaine ; moi, je dis que vous êtes sa semence. On dit que la culture a besoin d’esclaves. Moi, je dis qu’aucune culture n’a été édifiée sur l’esclavage.
Mais il y a une chose que tu ne sauras pas, que tu ne voudras pas savoir : que tu es le propre artisan de ton malheur, que tu produis tous les jours, que tu ne comprends pas tes enfants, que tu leur brises les reins avant même qu’ils aient la force de se tenir debout ; que tu voles l’amour ; que tu prends un chien pour être toi aussi le « maître » de quelqu’un. Ainsi tu feras fausse route pendant des siècles, en attendant de mourir de misère sociale avec les masses, et cela jusqu’à ce que la première lumière de compréhension se fasse jour en toi-même.
Plonge ton regard dans ton âme petit homme, c'est là ton seul espoir.
Tu n’as pas le courage de penser, petit homme, parce que toute pensée réelle s’accompagne de sensations somatiques et que tu as peur de ton corps.