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Critique de Malaura


« Il pleuvait comme si c'était la fin du monde », ce jour d'Août où Alain Rémond, en balade avec sa compagne, trouve refuge dans le hangar d'une ferme abandonnée. A l'intérieur, tout un bric-à-brac de vieux objets hétéroclites, machines, outils de ferme, meubles bancals, ustensiles cassés pourrissant là, à même le sol de terre battue. Tout ce qui avait un jour accompagné une vie de famille était jeté en vrac dans ce hangar perdu dans la campagne.
Mais le plus bouleversant pour les deux promeneurs est la découverte de cartons remplis de vieux papiers de famille, des fiches d'état civil aux extraits de naissance, des actes de vente aux contrats de bail, ou encore des relevés bancaires courant des années vingt jusqu'aux années quarante. Des noms, des chiffres, des dates…toute une vie piétinée par deux marcheurs en quête d'abri et réduite à ces papiers usés dégorgeant des caisses et jonchant le sol.
« Nous étions là comme au milieu de la mort »…
La vue de ces papiers de famille est un bouleversement pour Alain Rémond. Sentiment de pitié, de désespoir, d'abandon face à ces bribes de mots, de phrases, de lettres, de documents qui résument si tristement la vie de ces gens disparus chez qui il est entré comme par effraction ce jour d'orage, mais qui renvoient aussi à la vie de chacun, la sienne, celle de ses proches, la nôtre…Des vestiges du passé qui l'entraînent dans ses propres souvenirs et, dans une sorte d'urgence impérieuse, le pressent à sortir des tiroirs les quelques papiers qui lui restent de sa famille.

Chroniqueur de presse, Alain Rémond est surtout connu pour ses billets à Télérama (où il a longtemps tenu la rubrique TV) Marianne ou La Croix. Pendant plus de vingt ans le journaliste a émaillé leurs colonnes de mots élégants, enlevés et drôles, faisant montre d'un don d'observation et d'analyse toujours plein de finesse et d'à-propos.
Les livres qu'il signe sont davantage empreints de mélancolie. Principalement autobiographiques, ils revisitent le passé comme ce « Tout ce qui reste de nos vies » au titre si magnifiquement évocateur, dans lequel l'auteur ressuscite un peu de sa famille à travers les rares documents qu'il possède.
L'histoire familiale s'esquisse peu à peu au détour d'une carte de sinistré, d'un petit article à moitié déchiré, d'une lettre tachée, d'un certificat de décès…L'enfance bretonne dans une famille de dix enfants ; le suicide d'Agnès, l'une de ses soeurs préférées ; la relation difficile avec un père alcoolique, chef-cantonnier et syndicaliste convaincu ; l'admiration pour une mère pleine de courage et d'abnégation ; les privations et les difficultés financières qui n'entament en rien sa nature enjouée…

C'est toute la vie des gens humbles qui se révèlent dans ce récit intimiste et pudique. Une émotion qui se déverse sans misérabilisme, avec ce sentiment d'apaisement nostalgique que l'on peut ressentir lorsqu'on perpétue le souvenir, lorsqu'on garde trace des êtres disparus, lorsque l'écho du passé est répercuté bien au-delà de la mémoire individuelle et finit par toucher à quelque chose de collectif et d'universel.
C'est ce qui arrive ici avec « Tout ce qui reste de nos vies ». Sa résonnance va plus loin que le seul récit autobiographique et fait retentir chez le lecteur la musique lointaine de sa mémoire personnelle, la pensée de ses propres absents.
Le fondement du travail de l'écrivain est tout entier contenu dans ces pages brèves et touchantes qui réussissent à nous faire entendre la voix de l'âme, du coeur, de l'esprit, à travers celle du souvenir.
Un peu de l'écrivain Charles Juliet affleure dans ce ton amical, dans cette proximité avec le lecteur et dans cette façon chaleureuse et reconnaissante de communier avec lui, comme un acte de foi par les mots et l'écriture.

Au terme de la lecture, on se demande bien sûr ce qui pourra bien rester de nos vies quand on sera partis.
Un ticket de métro, une note de pressing, une carte d'identité, un permis de conduire, un avis d'imposition, un relevé bancaire, une facture d'électricité, un échéancier, un document administratif à en-tête, des lettres d'amour écrites à l'encre violette, une liste de courses à faire, un diplôme scolaire, un avis de passage du facteur, un post-it sur un réfrigérateur, une carte d'anniversaire, un acte de décès…
Bien peu en définitive. Presque rien. Quelques papiers vite jaunis serrés dans une vieille boîte à biscuits…
Mais finalement qu'importe ! Puisque dans le coeur des gens aimés, reste un peu des mots d'amour qu'on leur a un jour adressé. Ceux-là sont des mots sacrés.
Alors,
« Laissez parler
Les p'tits papiers
A l'occasion
Papier chiffon
Puissent-ils un soir
Papier buvard
Vous consoler »
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