Les Guerres de religion - 1559-1610 : La haine des clans

Le caractère hors norme de ces massacres leur vaut dès l'époque un écho prodigieux dans toute l'Europe, depuis les réjouissances ordonnées par le pape à Rome jusqu'à la violente réprobation de la reine Élisabeth d'Angleterre. La Saint-Barthélemy donne lieu immédiatement à une guerre des interprétations, en France comme à l'étrangerElle se focalise particulièrement sur la recherche des responsables - voire des coupables - du massacre, en particulier au sommet de l'État.
Les débats ne se sont pas éteints parmi les historiens mais ils ont tendance aujourd'hui à prendre du champ par rapport à la question des responsabilités pour mieux jauger les massacres eux-mêmes et tenter de mieux les comprendre. Un premier constat s'impose: les victimes des tueries sont peu nombreuses, à l'échelle d'un royaume de quelque vingt millions d'habitants, dont sans doute alors un million a un million et demi de calvinistes. Il est vrai que les moyens d'action des tueurs, même les plus compétents d'entre eux, restent limités: à Paris, il est probable que plus des deux tiers des calvinistes présents dans la ville aient survécu. Il faut cependant tenir compte aussi, pour mesurer le choc démographique, de l'importance prise par les fuites hors de France et par les abjurations contraintes, qui se comptent elles aussi en milliers et sont bien plus nombreuses que les décès. Il n'en reste pas moins que les protestants français ne sont pas saignés à blanc par ce drame multiforme et que la masse de la communauté persiste dans ses convictions.

Les violences liées aux tensions religieuses ne sont pas seulement corporelles. À la fureur de certains clercs catholiques qui, comme Simon Vigor ou Artus Désiré, prêchent l’elimination de l'hérétique répond la prédication en acte que constitue l'iconoclasme des réformés lorsqu'ils détruisent les idoles du faux culte papiste. Ce mouvement purificateur démarre en 1560 dans le Midi et gagne une large partie du royaume en 1562. L'opération se vit parfois comme une sorte de fête populaire, mais elle est de plus en plus encadrée par les autorités calvinistes, qui veulent éviter des débordements. Ces paroles et ces gestesmais aussi les processions catholiques ou les chants huguenots, suscitent des réactions de la part de ceux qui se sentent agressés par ce qu'ils vivent comme une remise en cause de leur propre identité confessionnelle. D'autres ou les mêmes se sentent également menacés dans leur sécurité immédiate par un risque de coup de force de la part de l'autre communauté. La voie est alors ouverte pour des affrontements physiques.

Les guerres de Religion sont un temps de crise aigué, mais aussi une période de réflexion et de constructions théoriques sur le pouvoir. L'essor du protestantisme porte en lui, en effet, une dimension politique puisqu'en contestant l'Église catholique, il s'attaque implicitement au pilier central de la monarchieMême si ni Luther ni Calvin n'appellent à combattre les princes, il n'en reste pas moins que la question de la Réforme devient rapidement fondamentale, à la fois sous la plume des théoriciens du pouvoir et dans l'esprit des hommes et des femmes qui gouvernent ce royaume à la fragile unité.
C'est dans ce contexte que sont élaborées de nouvelles théories politiques, à même de penser le pouvoir royal dans un paysage religieux morcelé : une action publique qui ne se cantonne pas à une simple répression, mais qui soit capable de faire cohabiter les Français malgré leurs divergences confessionnelles. Nous avons choisi de présenter ici les Moyenneurs, les Malcontents et les Politiques. Tous ont en commun de vouloir dépasser les conflits religieux pour recentrer leur réflexion et leur action sur un terrain politique encore en construction; tous cherchent à restaurer la paix civile et à préserver l'autorité de l'État. Pour ces deux raisons, ils sont parfois confondus mais nous allons voir qu'ils dessinent des horizons politiques assez différents.