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Critique de Woland


The Killing Doll
Traduction : Marie-Louise Navarro

ISBN : 9782702416501

Attention, pas de Wexford ici pour adoucir les arêtes bien tranchantes de cette descente dans la Folie, d'abord lente et progressive, puis subitement accélérée et sans espoir de retour à la santé, d'une jeune fille qui, pour son malheur, est née avec, sur la joue, un naevus. Naevus que tous les imbéciles qui passaient à côté d'elle s'empressaient de fixer et sur laquelle sa pauvre mère, Edith - une sous-espèce de "Parents Toxiques", n'arrêtait pas de s'attendrir. "Nous avons vu les meilleurs spécialistes mais ..." Combien de fois l'a-t-elle entendue, celle-là, la petite Doreen, plus communément surnommée Dolly ? Une petite fille comme une autre pourtant à l'origine, qui aurait tant voulu un peu plus d'attention de la part de son père et ne pas songer - là-bas, tout derrière les neurones - que sa mère prenait un certain plaisir à la retirer de l'école dès sa Troisième parce que, de toutes façons, n'est-ce pas, cette pauvre Dolly ne pourrait mener une vie comme celle des autres ...

Oh ! certes, certaines des amies de sa mère ont protesté, lui ont dit et redit qu'il y avait bien plus atteint que Doreen, qu'on pouvait faire quelque chose, qu'elle pourrait se marier et avoir des enfants sans naevus ... Mais qu'y pouvaient-elles, les malheureuses ? Les assistantes sociales s'occupent-elles de cas de ce genre, où la maltraitance n'est pas physique mais purement morale, quand les parents s'enferment dans leur déni des responsabilités, dans la boisson, dans la volonté obscure de faire de leurs enfants des adultes bien avant l'âge ?

Heureusement pour Dolly, pendant son enfance et son adolescence, elle eut Peter - Pup - son frère. Un garçon brillant, intelligent, qui aimait sa soeur et prenait toujours sa défense. Drôle aussi, plein d'humour et ambitieux. Un jour, vers ses treize ans, il décida, comme ça, de vendre son âme au Diable, afin que Celui-ci lui donnât bonheur, réussite, etc, etc ... Considérant peut-être l'âge encore un peu tendre de l'impétrant, Lucifer ne se manifesta pas mais laissa Pup s'amuser à se créer, tout en haut de la maison, un "temple" où il officiait, vêtu d'une robe de géomancien - "magicien" faisait trop enfantin - une belle robe toute dorée, avec des étoiles et des croissants de lune, que lui avait confectionnée Dolly, couturière habile et qu'il avait mise dans le secret.

Secret auquel elle avait adhéré avec enthousiasme. Car, seule parmi tous, jusqu'au bout, Doreen croira aux pouvoirs de Pup.

Le problème, c'est que, peu à peu, au fil de l'existence, leur père se remariant par exemple avec Myra Brewer, la fille de la voisine, qui n'est guère sympathique, Dolly finit par convaincre son frère (qui, lui, ne croit guère à ses pouvoirs et ne voit, en définitive, dans tout cela, qu'un jeu) de tuer la nouvelle épouse. Pup tique, ce qui est normal. Mais enfin, comme il n'a aucun pouvoir, n'est-ce pas et pour faire plaisir à sa soeur, dont il sait bien que, si elle n'est pas tout à fait comme les autres, ce n'est pas vraiment du côté de son naevus qu'il faut en chercher la cause ... Il organise une belle cérémonie, avec encens, invocation, etc ... etc ...

Et le plus bizarre, voyez-vous, c'est que Myra meurt le jour-même. Il faut dire qu'elle avait essayé de se faire avorter en s'injectant une solution de shampooing et que l'embolie gazeuse avait été fulgurante. Mais, pour Dolly, il n'y a pas de doute : ce sont les pouvoirs de Pup qui ont tué leur "méchante belle-mère."

Oui, Myra est morte. Et le génie de Rendell, c'est de faire douter - un peu, très peu - un Pup tout de même impressionné et de faire basculer totalement Dolly de l'Autre Côté.

Et nous aussi, elle nous fait douter. On a beau tout récapituler, la seringue, l'avortement, l'embolie gazeuse ... Est-ce que Pup, finalement et même sans le savoir ? ...

Ecrit avec un grand naturel, "Son Âme Au Diable" ressemble à l'un de ces récits que vous raconterait une gentille vieille dame, absorbée sur un banc public dans un tricot compliqué (pour l'un de ses petits-enfants à naître) et qui, juste à la fin, tentait de vous agresser en cherchant à vous enfoncer ses aiguilles à tricoter dans les yeux, ou dans le coeur ... ou n'importe où pourvu que ça fasse mal, très mal. A mon sens, c'est, avec "L'Enveloppe Mauve", l'un des meilleurs Rendell où n'intervient pas Wexford. L'auteur fait montre d'une telle habileté que le lecteur finit par se demander si elle elle ne croit pas vraiment à ce qu'elle nous raconte... On sent bien qu'elle s'amuse mais, tout au fond, surtout avec l'intrigue "secondaire" qui rejoint d'ailleurs Doreen à la fin et scelle sur elle le sceau d'Anubis (dont elle apercevra la silhouette menaçante lors de la dernière "cérémonie" à laquelle acceptera de participer Pup), on perçoit les éclats de rire, beaucoup plus déplaisants, d'une folie glauque, impalpable et qui façonne tout entière, même si l'on s'en rend compte bien trop tard, le roman tout entier.

S'ajoute à cela, pour les amateurs, cette façon tranquille - et pour moi carrément unique - qu'avait Rendell de dépeindre une certaine société anglaise, avec ses tares soigneusement dissimulées et ses égoïsmes toujours prêts à se moquer de celui qui est différent. Ce sont dans des romans comme "Son Âme Au Diable" que Ruth Rendell a commencé à transcender le genre qu'elle avait choisi, pour en faire quelque chose de tout nouveau et qu'on ne peut qualifier que de "rendellien". Il est par exemple impossible de comparer son oeuvre avec celle d'une P. D. James, plus lourde, diront certains, plus spirituelle, presque mystique à certains moments, prétendront d'autres. Chez Rendell, en tous cas dans son Âge d'Or, fleurs et champignons vénéneux, êtres bizarres et venimeux ne cessent de venir au monde, de croître et d'embellir dans ce qui, au départ, ressemble pourtant curieusement à l'Eden. Même si Wexford les tient relativement bien en laisse, dès qu'il a le dos tourné, tous s'égaillent et s'en donnent à coeur joie. Pour Rendell, le Mal était bougrement plus intéressant que le Bien. En tous cas jusqu'à ce que, avec l'âge et peut-être suite à son élévation au titre de "Dame", elle s'est résignée à rentrer dans le rang et à chanter "God Save The Queen" en rythme et quand on le lui demandait. L'horreur, en somme ...

En tous cas, lisez "Son Âme au Diable" : c'est l'un de ses meilleurs, nous le répétons et nous le jurerions sous serment, na ! Surtout si vous le lisez pour la première fois, ça devrait vous faire un choc ... le choc d'une lame de couteau bien affûtée contre la délicatesse unie de la porcelaine anglaise ... Tout un poème, en somme. ;o)
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