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Critique de LeScribouillard


Il y a longtemps, un lion vivait dans la savane et ne supportait pas que les autres lions ne soient pas de son côté dans ses nombreuses chasses. Il décida alors de former son clan et conquit de nombreux autres lions, et fit de nombreuses chasses plus glorieuses les unes que les autres. Mais les autres lions avaient envie de rejoindre les clans voisins, et le lion devait sans cesse leur dire : "Arrière ! Si tu les rejoins, tu n'es plus des nôtres !". Et puis vint un Européen qui leur affirma qu'il ne leur voulait aucun mal et qu'il voulait devenir un des leurs. Et les lions, peu à peu, se détournèrent de leur chef pour se tourner vers l'humain et ses prodiges, tant et si bien que lorsqu'il les eut tous sous sa coupe, il sortit un fusil et les tua. Celui-ci, furieux, s'en alla voir Ngai sur Sa montagne sacrée, d'où Il a créé le monde entier. "Pourquoi as-tu laissé ceci se produire ? N'étais-je pas le chef de ce clan de lions ?
- Tu l'étais bel et bien, mais en empêchant tes sujets d'en sortir, tu les as rendus ignorants ; ils n'ont pas pu s'approcher des autres clans et échanger leurs connaissances, et comme ils n'avaient jamais vu d'homme blanc, ils se sont laissés prendre dans ses filets. Tu aurais dû leur permettre un peu de liberté plutôt que de les restreindre à ce point..."
Un peu de liberté... Mais si nous prenons trop de liberté face aux traditions, nous finissons par en prendre trop. Et comment les Kikuyus pourraient-ils rester des Kikuyus ? Partis pour retourner à leurs anciens usages sur le monde terraformé de Kirinyaga, ceux-ci fuient la modernité sous la houlette de Koriba leur mundumugu. Utopie : le mot est lâché. Un monde sans blanc pour les endoctriner, ni Massaï pour leur faire la guerre, ni Wakanda ni Luo pour leur tenir tête. Un monde sans technologie où ils pourraient suivre à la lettre les règles que leur dieu Ngai a édictées.
On n'imagine pas le nombre de choses qu'on ignore sur les tribus d'Afrique, celle-là en particulier. Et l'immersion dans leur culture est totale, surtout narrée à une première personne impeccable. Et quelle culture ! Au lieu de se plaindre d'avoir trop de travail, les kikuyus ont l'impression d'être sénilisés si on ne leur en donne pas assez ; pour eux la circoncision et l'excision sont un honneur, et il n'y a pas de plus grande importance qu'un travail bien fait. Tout le contraire de chez nous, quoi.
Le personnage de Koriba est impossible à cerner, oscillant entre le sage ancestral et le fou manipulateur. On sait qu'il ne veut que du bien pour les autres, mais leurs traditions particulièrement rudes et ses plans pas toujours recommandables font qu'il inflige beaucoup plus de mal. Perdu dans son désir d'utopie qu'il n'atteindra jamais, tantôt hostile, tantôt malicieux, c'est un personnage comme on n'en voit que peu. Ce qui fait que laissez-moi vous dire que si on veut démontrer qu'autrefois est révolu et que mieux vaut se tourner vers l'humanisme, on est quand même à un niveau bien plus complexe que le Clan des Étoiles ou le traditionnel "Religieux = mal, athées = bien" de Pierre Bordage.
Car ce qu'il est, ce n'est pas le nostalgique d'une période d'obscurantisme à l'image de nos chère figures d'extrême-droite, c'est quelqu'un qui veut fuir un Kenya, une Afrique, un monde entier dominé par les Européens et les puissances s'en inspirant sur le plan économique, entraînant pollution, surpopulation et disparition des espèces même les plus puissantes comme le lion ou l'éléphant. Un monde crépusculaire auquel il est difficile de croire encore, et pourtant ! de quels prodiges sont capables les Blancs !
Un autre point fort, peut-être sous-exploité, c'est le Conseil des Utopies, l'idée que tout le monde puisse aller créer son propre paradis dans l'espace, et ça aurait été intéressant de se demander à quoi ressembleraient les autres utopies (c'était d'ailleurs sur cette idée de base qu'Orson Scott Card, avec qui il collaborait, était parti, comme expliqué dans le postface). Un système devenu réaliste avec la terraformation, qui ne me pose qu'un problème : pour terraformer même des planétoïdes, il faut beaucoup plus de temps que quelques années, même avec la technologie qu'on aura dans un siècle...
Bref, on a un superbe ouvrage, avec un superbe odyssée, et surtout une fin magnifique. Et c'est à regrets tout ce que je vous dis pour ce soir. Kirinyaga, en plus d'être court à lire, nous instruit énormément sur l'Afrique avec tout le plaisir de la SF ; bref il s'agit bien d'un chef-d'oeuvre méconnu, et qui ne souffre aucunement d'une comparaison avec "Tendéléo" de Ian Mc Donald par exemple (bien au contraire, d'ailleurs !). Et je termine mes éloges. Kwaheri, Babelio.
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