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Critique de egare


note de lecture sur Beauté j'écris ton nom de Serge Rezvani achevée à 00 H 00 ce 25 juin 2022
- voilà un récit polyphonique par la diversité des tons au gré de la plume avec pauses, distanciation quand le vieil homme se relit avec un sourire amusé
(lire donc aussi avec sourire amusé, le récit amusé du vieil homme, ce qui veut dire ne pas le prendre au pied des mots, il y a de la pose, de la posture et nécessairement de l'imposture; dans mon esprit, ce terme n'est nullement péjoratif ni dépréciatif; dès qu'on se met en mots ou en image, on se pose, s'impose, se fige; la vie va ailleurs)
- voilà un récit à strates, à boucles (on ne peut rajouter l'adjectif quantique, Rezvani voyant, nous voyant, se voyant comme biologie, évolution génétique, matérialiste, déterministe ; il ne semble pas savoir, pouvoir aller jusqu'à une approche quantique, indéterministe de l'Émergence)
- un récit où on peut lire
des pages de Lula,
des pages-sédiments du Rezvani des années d'avant 50 à Paris quand il se marie avec Eva la suicidaire,
puis des années 50 avec Lula (venue à lui par sa peinture - le tableau fétiche de Lula L'oiseau du Mexique - et qui vécurent leur amour-fusion pendant 50 ans à La Béate)
puis des pages de 2007 dans la maison bleue de l'actrice adulée, en fin de carrière, et malade, sur la falaise de Bonifacio
et des pages de 2020 dans la maison-jardin en contre-bas qu'ils (lui le vieil homme amoureux et l'actrice amoureuse tentant d'approcher l'indicible de Lula, de s'approprier Lula) ont bâti à l'image de la Béate dans les Maures et où l'actrice retrouve sa nature de paysanne corse à même la terre,
- où sans arrêt Rezvani passe du jeune-peintre-de-16-ans au vieil homme-tout-en-un de 93 ans, avec son sourire amusé, sa mélancolie, sa tristesse, sa nostalgie
- ce récit constitue une contre-histoire personnelle de l'histoire de l'art dit contemporain parce que pour Rezvani et dès ses débuts l'acte de peindre est l'oeuvre des libertés de la main du peintre.
Oui, vraiment, avec Rezvani, on est ailleurs, du côté de l'absolu (mot qu'il n'emploie pas), quand c'est le tableau peint par la main des libertés du peintre (venues de très loin, de très profond, à la fois de l'inconscient, du subconscient personnel, de l'inconscient collectif et d'une histoire de l'art pluri-millénaire) qui regarde le peintre.
- Voilà un récit particulièrement riche, iconoclaste, à se prendre plein de claques remettant en cause, en ce qui me concerne, certaines références, "connaissances".
- Rezvani décrit de façon impitoyable le monde des marchands d'art, annonce clairement, non notre effondrement mais notre transformation en bio-masse où comme dans les fourmilières, termitières, il n'y a que la fonction qui compte, rendant indestructible la colonie, unicité et singularité étant éliminées.
- Même s'il ne veut pas être anecdotique, les rencontres qu'il fait du Diable collectionneur d'Anvers ou de Charles Michelson sont particulièrement évocatrices et on comprend qu'avec Duchamp et compagnie, on a rompu comme il dit la chaîne dont parlait Cézanne, la chaîne de la vraie-réelle histoire de la peinture, non déconstruite, non abstraite, non moderne parce que portée par une tension, l'art comme tension annonciatrice de Beauté, dépassement de l'homme du meurtre (le récit de son meurtre de la raie pastenague au cap Lardier alors miné par les mines allemandes est comme un exorcisme) par l'Homme (Nietzsche ?)
- Mais l'essentiel de ce récit en méandres lents (rien du tourbillon de la vie ou de la mémoire qui flanche, sauf le temps d'une chanson, le temps d'un rire prolongé et partagé) c'est l'émergence des significations profondes de ce qu'il a vécu, de ce que l'attendu lui a réservé (ou pas) comme de ce que l'inattendu lui a offert, à l'image de ce que dit la coryphée à la fin de la Médée d'Euripide :
LA CORYPHÉE

De maints événements Zeus est le dispensateur dans l'Olympe. Maintes choses contre notre espérance sont accomplies par les dieux. Celles que nous attendions ne se réalisent pas; celles que nous n'attendions pas, un dieu leur fraye la voie. Tel a été le dénouement de ce drame.

- pour comprendre le geste inouï de son abandon par sa mère juive russe pour le confier, circoncis à 9 ans à une institution juive américaine ce qui le sauve du camp quand sa mère, cancéreuse, charcutée y mourra, il lui faudra sa vie entière
et donc vivre sa vie dans ce sentiment d'abandon avec tous les effets en lui, dans son corps, dans sa sauvagerie, sa sexualité, sa solitude extrême, sa timidité, son refus de se mettre en avant, sa confiance instinctive dans l'intelligence du coeur
- une vie aussi pour saisir l'empreinte ineffaçable de celle qui lui a donné l'amour de la vie et du féminin par ce que j'appellerai son amour inconditionnel (mot qu'il n'emploie pas non plus mais qui parle aujourd'hui à nombre de gens) pour lui, pour le monde qu'ils se sont créés, se mettant au centre de l'univers, centrés égoïstement (mot à prendre en très bons termes, pas comme dénigrement, jugement moral dépréciateur) sur leur bonheur où tout est mis à sa place, apprécié, où sont aimés, soignés oiseux, plantes... la Femme-toutes-en-une, Lula, Lula qui avait le don d'être l'artiste originale d'elle-même, eux deux-un faisant de la vie, de leur vie une-à-deux une oeuvre d'art, vivante, ludique avec chansons en particulier, chansons de l'instant, pour l'instant, ceci, paradoxe, n'ayant été possible que dans et par leur dèche, leur acceptation débrouillarde de la vie au jour le jour sans trop d'appréhension du lendemain
- mais hors de ces présents (aux deux sens du mot) de félicité chantée, rieuse, joyeuse, dans l'atelier derrière la maison, Serge redevenait peintre, peintre de peintures cauchemardesques comme en contre-point de l'idylle sans cesse renouvelée, de félicités en félicités, contre-point nécessaire, hérité du passé détraqué qui l'avait détraqué et de l'époque de Nagasaki, de la guerre du VietNam...
- mais comme un dieu (mot non employé par Rezvani) ouvre la voie à l'inattendu, l'inattendu sait réserver, proposer des surprises, des coïncidences,
- c'est l'ultime amour qui permet de voir enfin le dessin qui s'est dessiné dans le tapis de la vie avec la création de ce jardin en bas de la falaise où les deux vieux amants sous l'influence fantômatique de la morte sans cadavre que fut Lula en fin de vie redoublent avec des nuances, des différences mais dans les mêmes couleurs les années Lula
- ainsi Serge peindra quatre toiles de l'actrice dans sa nudité divine, pour exalter sa fascination du féminin face au levant sur la mer, face au midi sur la mer, face au couchant sur la mer et face à la nuit sur la mer, la vie en boucles, la vie en cycles, la vie en saisons, la vie en peintures, en écritures, en chansons pour l'actrice à la si belle voix.

Lien : https://les4saisons.over-blo..
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