Citations sur Le chemin des sortilèges (14)
On entendit un miaulement dans la pièce. Un chat l'avait suivi. C'était son unique compagnon ; il l'avait appelé Cheshire, en hommage à Lewis Carroll. (p.21)
A quoi sert la mémoire ? A partir de quoi et pour aller où ? Glisser sur cette pente sans fin, vers la disparition de chacun; Dès l'instant où l'on voit le jour, on commence à mourir. Pourquoi se raconter une vie qui avance à reculons ?
Le rêve m'avait promis un destin identique : mourir, tuée par une phrase. Pourtant, ma relation avec Roland n'était faite que de mots, et c'étaient eux qui m'avaient sauvée.
Ecrire, pour me protéger, pour que les lettres, tels des sortilèges, me construisent une armure.mettre le monde à distance, le regarder, cachée derrière mes lignes.
p. 106: Je lui fis part de l'angoisse qui m'avait saisie quand je m'étais rendu compte que je ne savais même plus comment nous avions repris contact, alors qu'il était éloigné de tout.
- C'est vrai, rien ici ne communique avec le monde extérieur. Mais il y a d'autres manières d'y parvenir. Ce qui compte, c'est que vous soyez là et que nous soyons réunis. Cessez de vous poser ce genre de questions. C'est un voyage d'une autre nature que je vous propose. Ne pensez plus au dehors. N'ayez pas peur. Suivez-moi.
p. 71: "J'éprouvais de la jalousie et ce sentiment me faisait honte. Est-ce cela qui nous plaît autant dans les contes, pouvoir, à travers la lecture, le rêve, laisser éclater nos colères sourdes, cette part sombre que l'enfance ne parvient pas à exprimer?
La maltraitance infligée à Cendrillon, reléguée par sa belle-mère et ses demi-soeurs, obligée de s'asseoir dans les cendres de la cheminée, constamment et injustement punie, libère en nous les révoltes enfouies, et permet de donner libre cours à notre soif de vengeance.
Cette phrase ne m'avait pas empêchée de poursuivre mon chemin vers les ténèbres. Un jeudi, alors que j'avais encore perdu du poids, pour la première fois il haussa le ton:
- Il faut faire le deuil de ses parents de leur vivant, avant qu'ils ne vous enterrent.
Comme je ne comprenais pas, il ajouta:
- Si vous n'arrivez pas à faire le deuil de votre mère de son vivant, vous en mourrez.
Ces mots avaient réussi à desserrer le noeud qui me tenait prisonnière.
Je regardai par la fenêtre, le ciel était clair, et je vis briller autant d'étoiles qu'il y avait d'âmes défuntes. Elles étaient les traces de tous ceux que j'avais aimés, elles scintillaient comme des éclats de rire dans l'infini du temps, comme des échos de vies éphémères, des fragments d'étreintes, de larmes et de sourires.
Ecrire pour me protéger, pour que les lettres tels des sortilèges, me construisent une armure. Mettre le monde à distance, le regarder, cachée derrière mes lignes.
"Comment réduire ma présence dans l'espace, ne pas grandir, ne pas lever la tête, effacer ces formes qui devenaient trop lourdes, comment garder intact ce qu'il me restait d'enfance? Ne pas nourrir ce corps, le figer dans la douleur qui l'avait vu grandir. [...] Désormais mon corps était là, devant moi. Je le reconnaissais. Il était remonté à la surface et, avec lui, je respirais. Je restai ainsi à me regarder sans bouger. Le froid me glaçait les os. Je m'enveloppai dans ma chemise les bras croisés, telle la survivante d'un naufrage. C'était l'amour qui avait sombré sous mes yeux." pp 158-159
Année après année, croyant l'oublier, j'avais réussi à créer à partir de son souvenir une image dans laquelle je me contemplais. Mais la petite sirène nageait en moi. Comme elle, j'avais longtemps conservé mes écailles, puis l'armure se fendit, brisée par la passion, et mon corps se transfigura. Je découvrais une douleur bien plus violente, bien plus intense que les autres.