Citations sur Les Infortunes de la Belle au Bois Dormant, tome 3 : .. (6)
Notre Maître, du haut de sa superbe élégance, nous conduisit jusqu'au centre proprement dit du jardin. L'air était chaud et doux, avec juste un soupçon de brise. Il y avait là Dimitri, déjà monté en croix ; et un autre, un esclave européen, à la peau superbe, aux cheveux d'un roux sombre, probablement un Prince soustrait à la bienveillance de notre Reine ; deux croix vacantes attendaient, pour Tristan et pour moi.
Durant une quinzaine de jours, c'était nos propres désirs qui nous avaient soumis à la torture, et nos gardiens aux allures de garçonnets s'étaient contentés de nous rire gentiment au nez, pour nous lier prestement les mains dès que nous osions toucher à l'enveloppe délicate en forme de cône tronqué qui emprisonnait nos parties intimes.
C'était le soir, et, aux bains, tous les flambeaux étaient allumés. Après que l'on eut huilé la Belle et parfumé ses cheveux bien coiffés, trois valets la conduisirent dans le large corridor qu'elle avait déjà vu, un couloir décoré de façon si splendide, avec ces esclaves ligotés et ces mosaïques, qu'il dégageait une formidable impression de puissance.
Alors la frayeur de la Belle alla croissant. Où était Lexius ? Où l'emmenait-on ? Les valets portaient avec eux un coffret. Elle ne redoutait que trop de savoir ce qui se trouvait à l'intérieur.
Enfin, ils atteignirent une pièce, où s'ouvraient, sur la droite, deux portes massives, une espèce de vestibule, au plafond ouvert sur le ciel. La Belle put apercevoir les étoiles, sentir l'air chaud.
Mais quand elle vit la niche dans le mur, la seule niche de la pièce, située exactement face aux portes, elle fut prise de terreur.
- Et mais, qu'est ce que c'est que ça ? s'écria le garçon, en tirant un mouchoir de lin propre et en essuyant les larmes de Tristan, puis les miennes. (il avait un visage confondant, un large et beau sourire.) Des larmes, chez une paire de beaux poneys ? fit-il. Allons, on ne peut pas se permettre une chose pareille, n'est-ce pas ? Les poneys sont de fières créatures. Ils pleurent quand ils sont punis. Autrement, ils marchent au pas, la tête levée. C'est cela.
- Quel sens cela aurait-il de les aimer ? avait-elle demandé une fois, comme si elle se parlait à elle-même. Quel sens cela aurait-il d'abandonner complètement son cœur ? Les punitions, je les aime. Mais aimer l'un de ces maîtres ou l'une de ces maîtresses...
Soudain cela parut l'effrayer.
- Cela vous trouble, lui avais-je dit avec compréhension.
Les nuits en mer nous pesaient à tous. Tout comme l'isolement.
- Oui. J'ai très envie de quelque chose que je n'aie pas encore eu, avait-elle chuchoté. Je le nie, mais j'en ai très envie. Peut-être est-ce seulement que je n'ai pas trouvé de maître ou de maîtresse qui me convienne...
Il obéit avec une espèce de grâce volontaire, et il s'agenouilla, la tête relevée, les mains toujours ligotées, le corps composant une forte belle image [...] Il était comme un bel étalon fait pour la course, rien du destrier capable de supporter le poids d'un cavalier, mais tout de l'animal nerveux qui emporte l'estafette. Il donnait l'impression de recevoir le bâillon de soie rouge comme une superbe insulte. Et pourtant il se tenait agenouillé tranquillement, sans résistance. Sans essayer de l'arracher pour s'en libérer, ce qu'il aurait pu faire, même avec les poignets liés.