AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Rentrés au logement vers deux heures, il a fermé la porte à clef, s'est assis devant; puis, armant son revolver, il en a tiré deux coups en disant :"Tiens, je t'apprendrai à vouloir partir !"
(de la déclaration de Rimbaud au Commissaire de Police, concernant l'incident du 10 juillet 1873)

Ce jour là, tout le monde écoutait la prof. Même les blasés, les cancres, et ceux qui ne venait au lycée que pour dormir.
Elle racontait l'histoire d'un trentenaire, qui, après avoir abandonné femme et travail, a essayé de tuer son jeune amant qui l'a entraîné dans un monde d'alcool, de drogues et de filles faciles, et maintenant il voulait tout simplement le quitter. Heureusement, il était plus doué pour écrire des vers que pour viser, alors le jouvenceau à peine blessé a survécu, a fait une croix sur sa propre carrière poétique, et est parti vadrouiller dans le vaste monde; tout ça pour mourir dix-sept ans plus tard d'une façon peu glorieuse suite à une inflammation au genou, en nous laissant en héritage quelques poèmes.

On était tous enchanté par l'histoire de Verlaine et de Rimbaud. C'était tellement différent des biographies de tous ces écrivains rangés... mais quitter le boulot le jour au lendemain, descendre un litre d'absinthe et partir en Belgique avec un jeune ado qui n'apportait, certes, rien de bon, mais avait des yeux si bleus qu'on ne pouvait pas faire autrement, c'était une autre tasse de café ! Les "maudits" ont le don d'interpeller par leur vie non-conforme et leur poésie même les jeunes d'aujourd'hui, et rien que pour ça, j'ai envie de les remercier. Mais les lire et apprécier vraiment, c'est une autre paire de manches.

La plupart de ces poèmes sont écrits avant le vingtième anniversaire de Rimbaud. Ils reflètent la crise d'adolescence d'un garçon incontestablement surdoué, son orientation sexuelle indécise, ses déceptions de la vie et ses incertitudes en ce qui concerne le futur. Comme s'il ne savait pas quoi faire de lui-même, et pour compenser ses interrogations, il écrivait. Sa poésie est pourtant étrangement lumineuse, même si elle combine d'une façon incroyable, dans une explosion d'images, le beau et l'immonde dans un seul vers.
Il remplit son chaudron de vieilles hardes dégoûtantes, mais sa décoction sent la rose. Ou alors il arrange des roses fraîches dans un vase, juste pour les regarder se faner ? Il balance dans la grande marmite de son imagination de belles jeunes Parisiennes, des égouts puants, la mer qui gronde, des chats crevés, ivrognes et cafards au clair de lune, pour flanquer dans votre assiette une portion qui n'est absolument pas indigeste, mais laisse quand-même une étrange sensation autour de l'estomac.

Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes !

La poésie de Rimbaud s'adresse parfaitement à tous nos sens connus, et nous fera possiblement découvrir quelques autres dont on ne soupçonnait même pas l'existence. Elle est remplie de couleurs, odeurs et saveurs de toutes sortes. Rimbaud faisait partie de ces fous qui éprouvaient le besoin de tout tester sur eux-mêmes : amour, souffrances, toutes les douleurs du monde et des centaines de malheurs possibles... Finalement, il ne pouvait peut-être pas finir autrement qu'il n'a fini.
On pourrait se demander comment évoluerait la poésie de ce jeune homme, s'il n'avait pas arrêté d'écrire à vingt ans, pour nous gratifier de ses vers encore les dix-sept années qui lui restaient à vivre. Il est devenu une icône patinée de mille traces de doigts, devant laquelle viendront se prosterner les générations futures. Est-ce mérité ? Essayez : on a du mal à se détacher de ses images, même si on ne sait pas si c'est beau, ou si ça donne plutôt envie de piquer une crise de nerfs.

L'amour ne passe à tes octrois
Que les Lilas, - ô balançoires !
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucrés des Nymphes noires !...

C'est grâce à ces vers ("Ty kreslíš pro své rusalky/jen šeřík – liliově bílý! /A temné lesní fialky/ty sladké chrchle černé víly!") que j'ai découvert Rimbaud à dix-sept ans, avant de pouvoir le déguster en français. le traducteur, excellent Nezval, avait le culot de traduire le mot "crachats" par un immonde synonyme tchèque "chrchle", et je savais tout de suite que la poésie de Rimbaud ne sera pas aussi prévisible que les vers de Jiri Wolker qu'on avait l'habitude de côtoyer...
L'autre soir j'avais rajouté une poignée de pâtes-lettres dans la soupe aux légumes, et en regardant les mots se former au hasard au milieu des carottes et des petits pois, je me demandais si... ? Peut-on vraiment "comprendre" la poésie de Rimbaud ?
Mais "Ce n'est rien! j'y suis! j'y suis toujours!..." 4,5/5
Commenter  J’apprécie          9323



Ont apprécié cette critique (77)voir plus




{* *}