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Critique de Herve-Lionel


N°1865– Avril 2024.

La jalousieAlain Robbe-Grillet – Les Éditions de Minuit.

L'auteur choisit de traiter un sentiment très humain où se mêlent l'anxiété, l'insécurité, la peur de perdre une chose ou un être à qui on est attaché. S'y ajoutent de la colère, de la frustration, de la tristesse et on pense inévitablement à un contexte amoureux avec le triangle traditionnel, le mari, la femme, l'amant… Oui, mais, nous sommes dans le « nouveau roman » où rien n'est vraiment comme dans les fictions romanesques habituelles.
Nous sommes dans une plantation de bananes, c'est à dire dans un climat chaud et humide et le titre de ce roman joue d'une part sur l'émotion et d'autre part sur cette sorte de contrevent à lattes, fréquent sous ces latitudes, qui permet d'observer au dehors sans être vu. La rédaction du texte donne à penser que le narrateur observe la scène de loin, comme absent de la pièce et surtout muet, mais sa présence effective est envahissante. Pourtant de lui nous ne saurons absolument rien. de sa femme, A, nous ne savons pratiquement rien non plus, sinon que le narrateur la désire ardemment, la décrit amoureusement en train de se coiffer, admire la beauté de sa chevelure, la soupçonne d'accorder ses faveurs à Franck, un séducteur très présent auprès d'elle et dont elle apprécie la compagnie alors qu'elle s'ennuie avec son mari qui l'épie en permanence et craint surtout qu‘elle ne le quitte. Elle est assez hypocrite pour lui cacher une aventure adultère avec Frank et les dialogues qu'ils ont ensemble, en présence du narrateur, ont quelque chose de convenu où l'on peut voir une volonté de lui cacher une liaison. Franck est marié à Christiane, très inexistante dans ce contexte et qui se préoccupe surtout de la santé fragile de leur fils. Toutes choses égales par ailleurs, elle est un peu le pendant du narrateur, mais elle ne se manifeste pas.
L'attitude de ce couple donne à penser qu'ils ont quelques années de mariage derrière eux, que le temps y a fait son oeuvre dévastatrice, y insinuant l'ennui et les soupçons, tuant l'amour, à supposer qu'il ait jamais existé entre eux et y substituant pour le narrateur une jalousie maladive entretenue par le jeu de A dans lequel on peut voir une volonté de séduire Franck, de lui céder ou, à tout le moins, d'en donner l'impression, surtout quand elle émet son opinion sur le roman dont ils partagent la lecture et qu'elle admet l'adultère d'une épouse blanche avec un noir. Quand ils sont ensemble, la scène est souvent vue à travers les irrégularités d'une vitre, ce qui me paraît symbolique de leurs relations floues. Bizarrement le narrateur-mari ne réagit pas face aux absences parfois nocturnes de sa femme, comme s'il ne voyait rien ou ne voulait rien voir pour la garder auprès de lui, tolère qu'elle fasse chambre à part, que Franck soit souvent chez eux et que lui' dîne souvent seul. On ne sait rien de lui mais il est évident que c'est un homme seul, fataliste, résilient, assurément malheureux, comme quelqu'un qui s'en remet au hasard pour voir cesser une situation dont il est prisonnier. Les rares paroles qu'il échange avec sa femme ont trait au quotidien de la plantation .
A la lecture de ce roman j'ai eu l'impression d'une certaine immobilité du temps, comme s'il s'était arrêté de fuir, comme s'il était à l'image de cette météo, inchangée, comme si cette ambiance malsaine ne devait jamais finir. J'ai été aussi un peu perdu dans le déroulé des évènements, volontairement bouleversés dans leur chronologie.

L'ambiance de cette maison coloniale est pesante notamment du fait de la présence du narrateur devenu voyeur, de son silence mais surtout des soupçons pourtant non exprimés qui l'accompagnent. Je note que la narration de l'auteur recèle un luxe de détails techniques, précis, géométriques, arithmétiques biologiques ou topographiques, c'est à dire scientifiques, pas désagréables à lire mais assez superflus. Était-ce ainsi que l'auteur, avec la technique du narrateur-voyeur, souhaitait révolutionner l'art du roman ? Sur le seul plan de la rédaction, il y a une succession de paragraphes qui, sans aucune transitions, parlent de choses fondamentalement différentes. Quant à la présentation des « tables », elle est originale. Pourtant à l'inverse d'autres oeuvres du même auteur, j'ai porté de l'intérêt à cette histoire, peut-être à cause du thème et malgré le peu d'action du roman, mais, le livre refermé, cette lecture m'a laissé assez perplexe, même si je ne suis pas ennemi de l'évolution des choses et de la littérature en particulier.
C'est le quatrième roman de Robbe-Grillet (1922-2008) publié en 1957 qui, contrairement aux oeuvres précédentes a bénéficié d'un accueil favorable et à été traduit en 30 langues.


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