J'étais heureux dans ses bras, à l'embrasser... couché. Il n'y avait sans doute pas de meilleure position que celle-ci. Étendus, enlacés, les corps si mélangés qu'on finit par caresser sa propre chair, avec toute la tendresse et l'amour qu'on éprouve l'une pour l'autre.
À partir de de ce moment-là, je sus que c'était vraiment elle. Celle que je n'aurais jamais cru pouvoir rencontrer.
Je découvris qu'elle avait un prénom : Sofia.
Oui, la première chose que je remarquai chez elle fut son regard. La plupart du temps, les gens baissent les yeux...
Je suis capable de scruter le visage de Sofia pendant des heures. Si, pour un sondage, on me demandait de décrire mon genre de fille, je dirais : "Une fille avec un visage qu'on peut regarder pendant des heures. Avec des yeux habités de malice, des sourcils dessinés pour souligner cette malice et de longs cils."
En fait, je répondrais : "Sofia".
Sofia a bien compris que l'eau est le seul élément dans lequel je me retrouve à égalité avec elle. À la piscine, on a inventé un petit jeuqui consiste à se laisser couler vers le fond du bassin en s'embrassant. Nous sommes enlacés, debout, sur le sol carrelé. Mais depuis que je viens avec elle, les gens ont changé de comportement : ils ne s'adressent plus à moi, mais à elle, comme si elle était ma baby-sitter.
J'avais eu cette révélation terrible que mes parents étaient des enfants qui avaient grandi. Je comprenais qu'un jour je serais aussi vieux que mémé, et qu'elle avait été aussi jeune que moi. (p.10)
Cette existence toute tracée étaient désespérément fade. Je voulais que ma vie change. J'attendais un séisme. Je fus servi...
Je ne suis pas tombé amoureux d'elle dès que je l'ai vue. Non, j'en suis tombé amoureux dès qu'elle a posé les yeux sur moi. Le regard de l'autre est toujour sle miroir qui renvoie à soi un reflet qui ne trompe pas.
Être dans un fauteuil roulant, c'est s'adapter à un nouveau point de vue. Plus rien n'est à votre hauteur. Il devient impossible d'effectuer certains gestes essentiels de la vie courante. Retirer de l'argent à un distributeur tient de l'ascension de l'Everest. Plus question de participer à une ola pendant un match de foot ni de se pencher par-dessus l'épaule d'un curieux pour regarder un accident...
On se retrouve à la taille d'un enfant. Et la condescendance avec laquelle certaines personnes vous traitent tend à confirmer que vous en êtes redevenu un, comme si vos capacités mentales avaient fondu d'un coup. (p.49)
Surtout je pris conscience de ce que je pouvais réellement représenter pour elle : un faire-valoir. Je n'avais jamais été pour elle qu'un handicapé. Elle me fréquentait pour s'attirer la sympathie des gens. J'étais sa « bonne réputation ».
Et j'en eus rapidement la certitude quand elle commença à me parler de l'élection de Miss Annecy. Elle souhaitait mon témoignage durant la cérémonie. Elle eut même l'audace, et la bêtise surtout, de me dire que ce serait une bonne pub pour elle de montrer qu'elle n'avait pas peur de ma différence.
Ce sentiment de trahison me fit sans doute plus mal que toutes mes douleurs physiques passées. (p.21-22)