Et de temps en temps nous échangions quelque confidence, au point d'éprouver cet étrange état d'âme qui permet de croire que dans la vie nous avons un ami.
Ce n'est plus la jeune fille de vingt ans assise dans les w-c d'une gare routière, les yeux comme des phares au sommet d'une île retroussée... la jointure des jambes, le triangle du sexe, animal ineffable... C'est aujourd'hui une vieille et heureuse indifférence, allant d'un côté à l'autre, au milieu de son pays et de sa guerre, elle est comme les autres à l'heure de la vérité.
Celui qui ment à l'heure de sa mort n'est pas un homme.
Gardez l'amour. L'amour est plus fort que la luxure.
Qui ont-ils enlevé cette fois ? Nul ne le sait et personne ne meurt d'envie de le savoir ; qu'on enlève quelqu'un, c'est monnaie courante, mais il est délicat de poser trop de questions, de trop s'inquiéter.
L'âge n'apporte pas la paix.
Le silence se voit lui aussi, comme le soupir. C'est jaune, ça glisse sur les pores de la peau comme une brume, ça monte par la fenêtre.
J'ai la même nausée que lorsque je suis redescendu de la cabane de maître Claudino. Je rentre chez moi par le verger, je retrouve mon lit, d'où l'on m'a sorti, et je m'allonge sur le dos comme si je me préparais à mourir, maintenant oui, et seul, en toute conscience, même si miaulent près de moi les Survivants lovés sur l'oreiller. "Quel jour est-on ? je leur demande. j'ai perdu la notion du temps. Qu'est-ce qui s'est passé sans qu'on s'n rende compte ?" Les Survivants abandonnent la chambre et je reste plus seul que jamais, définitivement seul, maintenant, c'est vrai, Otilia, sans toi j'ai perdu la notion des jours.
La beauté étourdit, éblouit, [...].
La jeunesse et l'inconnu sont toujours plus attirants.
C'est que tout le monde oublie, mais oui, et surtout les jeunes qui n'ont même pas assez de mémoire pour se rappeler quel jour on est, c'est bien pour ça qu'ils sont presque heureux.