Citations sur La vie poétique. Tome 1 : Comment gagner sa vie honnêtement (21)
Ne t'inquiète pas, me disait Chardin. L'art se moque de ce qui brille. Fais comme moi. Fais la sourde oreille. Rends compte le plus honnêtement, le plus simplement, de ce que tu vois. Et si tu sais voir, ce qui implique de fermer les yeux, tu y verras des beautés qui valent largement celles des beaux quartiers. (p. 13 / Gallimard, collection Blanche, 2010)
N'ayant aucun talent de ce genre, je savais bien quelles fiches on sortirait à mon intention : OS, autrement dit ouvrier spécialisé, ce qui contrairement à sa dénomination signifiait un homme sans qualification. (Gallimard, 2010,p. 89)
(...) je détestais l'armée. Le culte du pouvoir, l'esprit de servilité , l'apologie de la force, je les avais expérimentés au collège, et j'avais été à même de juger que rien de tout ça ne m'intéressait (...) (p. 209)
Jusque-là, la propriété, on la jaugeait à l'aune des grandes fortunes, qui commençaient dès l'acquisition d'une voiture neuve (celle qui ne prenait pas les auto-stoppeurs) (...) (Gallimard, 2010, p. 156)
Je m'imaginais réitérant inlassablement mon refus d'effectuer mon service militaire, comme je l'avais écrit sur toutes mes copies depuis deux jours. Objecteur de conscience, alors ? Non, non, pas seulement la conscience, tout objecte chez moi. Rien ne me va de ce que vous me proposez, ni l'uniforme quand je tiens à ma singularité, ni obéir aux ordres quand je tiens à ma liberté, ni porter une arme quand j'avance dans la vie, démuni, bras ballants. ( (Gallimard, 2010, p. 212)
J'attends toujours que demain me rende heureux.
Non, en fait, ceux-là; consignés dans mon carnet rouge, je les annexais d'autorité, sans leur demander leur avis. Alors que je n'étais rien, je profitai de mon extrême solitude pour dialoguer avec eux et leur demander conseil et soutien. En dépit de leur immense renommée, jamais ils n'ont failli. Ils ont toujours répondu présents. Ils constituent encore aujourd'hui les éléments inamovibles de ma garde rapprochée.
Ainsi à la lettre C (...) on trouve Chateaubriand (François-René) (vicomte de) Saint-Malo 1768- Paris 1848. Pas de téléphone, en vis-à-vis, bien sûr (...)
Il était mon tuteur, mon repère et ma force. (p. 10-11 / Gallimard, Collection blanche, 2010)
L'écriture a ce pouvoir de recouvrement, et il n'est pas si facile de retrouver la vérité qui mijote en-dessous comme un lac volcanique sous une surface pétrifiée. (Gallimard, 2010, p.31)
Il y a peu, une lettre de l'organisme qui s'occupe des caisses de je ne sais quoi s'étonnait, dans un récapitulatif de ma carrière professionnelle, ce qui, cette dénomination, me fait toujours regarder derrière moi, de n'avoir pratiquement pas trace d'une activité quelconque de ma part jusqu'à la parution de mes -Champs d'honneur- . eh bien oui, existence nulle, aucune preuve de mon passage jusque-là, des années et des années de non-être, et pourtant, il avait bien fallu vivre. (p. 263)
La peinture apaisée de Chardin parlait pour lui, et j'étais tout disposé à le croire, mais de là à suivre ses conseils. Les temps avaient changé, on ne s'éclairait plus à la bougie et on avait inventé plus rapide que le cheval pour se déplacer. Comment lui expliquer que nous étions entrés dans le siècle de la vitesse et du progrès, un peu, vois-tu, comme l'esprit encyclopédique mais en bien plus développé ? Tu n'imagines pas, Siméon, la frénésie qui s'est emparée de nous. On nous force à nous agiter, ça court de tous les côtés. Dans le moment même où la chose est créée on la dit démodée. (p. 15)