Sublime ! Un Prix Goncourt 1990 mérité ! Il y a des rencontres avec certains auteurs qui s'imprègnent durablement dans la mémoire comme ces « Champs d'Honneur ». Une très belle écriture chargée émotionnellement, des phrases longues d'une douce fluidité, d'une pureté de cristal. La prose de
Jean Rouaud à cela d'exceptionnel qu'elle suscite immédiatement des images, on se croirait au cinéma de minuit ! Mais ce qui retient l'attention dès les premières pages, c'est la beauté du style, la minutie des détails qui contribue à nous immerger dans le spectacle qui s'offre à nous.
Et puis la voix du narrateur, celle que l'on entend du plus profond de notre silence intérieur, surement celle de
Jean Rouaud, qui raconte les facéties de son grand-père, Alphonse Burgaud avec sa 2CV. Ce couple pittoresque qui devient du coup l'objet d'un conflit avec la grand-mère. Un portrait haut en couleur aussi, celui de la tante Marie, vielle fille à l'image de Mademoiselle Lelonbec de
Fernand Raynaud, petite bonne femme, institutrice dans une institution religieuse. Elle possède ses petits rituels pour obtenir les faveurs de certains saints dont elle possède les statuettes. Si par malheur, le saint ayant la charge de réaliser le souhait, manque à sa mission, le saint patron défaillant se retrouve au coin, à regarder le fond de son alcôve ! Qui mieux que
Jean Rouaud peut nous parler de la pluie, nous sommes en Loire-Inférieure, aujourd'hui Loire-Atlantique, et elle inspire l'auteur cette pluie : « Et preuve que nul n'en veut à cette pluie, les cheveux dégoulinants, on se regarde en souriant. Ce n'est pas la pluie mais une partie de cache-cache, un jeu du chat et de la souris. D'ailleurs, le temps de reprendre son souffle et le ciel a retrouvé son humeur bleutée. Une éclaircie, vous avez déjà pardonné. »
C'est drôle, ironique, certaines scènes ouvrent les portes de notre mémoire et font ressurgir des scènes cocasses de notre passé. Car c'est aussi l'histoire familiale des anonymes qui ont traversé le XXème siècle avec leurs joies mais aussi leurs peines. Nous pouvons tous nous reconnaître dans ces tableaux surtout si nous avons déjà fait un petit bout de chemin. Les années passant, certains souvenirs revêtent comme un goût de « barbe à papa », une douceur infinie.
C'est nostalgique, tendre, et puis tout doucement, l'air de rien, d'analepse en prolepse, l'auteur nous dévoile les rêves brisés, les familles fracassées. A onze ans, Jean perd son père, Joseph, qui n'a que quarante ans. Alors, Jean nous confie les deuils successifs qui affligent toutes les familles ! C'est un chant d'amour à ceux qui ne sont plus, au vide de l'absence qui nous tourmente. Il nous emmène jusque sur les champs de bataille pendant l'absurde Grande Guerre, et son écriture qui se veut minutieuse, visuelle, ne nous épargne pas. Elle nous montre l'horreur et pose la question du sens.
C'est un livre particulièrement émouvant par ce qu'il touche à l'intimité de chacun de nous. Qui n'a pas eu une tante Marie, un grand-père Joseph, un arrière grand-père dans les tranchées. Ce livre parle à nos coeurs, il se fait passeur de mémoire.
« La mémoire la plus profonde est une mémoire de toute notre destinée – Jean Guiton ».