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Critique de HistoiresVagues


Seulement quelques mois après l'excellent "Le Démon de la Colline aux Loups", les éditions du Tripode nous proposent de découvrir un texte écrit en 2018 par Dimitri Rouchon-Borie et publié à La Manufacture, mais repensé et réécrit à l'occasion de cette sortie.

Alors qu'en est-il de ce Ritournelle?
A la découverte de la quatrième de couverture, deux impressions.
La première était une excitation à l'idée de lire si rapidement un nouveau texte de Dimitri Rouchon-Borie, tant son Démon m'avait plu et retourné. Encore plus en voyant que c'était un texte déjà publié, mais repensé. L'occasion de voir si ce talent était déjà là, où s'il a émergé avec le Démon.
La deuxième était la peur de relire la même chose. J'ai eu ce genre de pincement de lèvres, en voyant qu'il s'agissait d'un procès. Enfin pas vraiment la peur, mais l'ennui de relire un procès difficile, dérangeant, comme celui du Démon, qui était extrêmement bien fait, et donc qui me semblait difficilement égalable.
Puis j'ai ouvert le livre.

Je l'ai lu d'une traite.
Aucun temps mort. Les dialogues fusent, sont impeccables et implacables. Ils servent parfaitement le propos, en donnant le réalisme, le dynamisme et le suspens nécessaires à une oeuvre pareille. L'histoire est accrochante, l'écriture resserrée, pas de fioriture, beaucoup d'efficacité.
Mais en refermant le livre, j'étais dubitatif. C'est rare qu'un livre que je lis si rapidement et avec autant de plaisir me laisse dans cet état. J'avais notamment été une nouvelle fois retourné par cette escalade de violence lors de la scène dans l'appartement notamment. Révolté par l'attitude inconsciente de Ka, Ron et Petit qui rient de leurs horribles comportements, qui restent dans leur rôle de petites frappes essayant de serrer une meuf, et s'amusant à massacrer un inconnu, juste pour un concours et un coup de bite. Ce passage m'a réellement gêné, et je me suis demandé pourquoi raconter cela, de cette manière. Etait-ce nécessaire d'écrire un tel déferlement de violence? Dans une "folie barbare" comme il est écrit en quatrième. Je ne sais toujours pas vraiment. Evidemment cela fait écho au tout premier "chapitre", qui est écrit avec beaucoup de détachement, qui n'est que factuel, froid, où je n'ai senti aucune barbarie, aucune émotion. Non, on ne tombe pas dans le gore, dans les descriptions sanguinolentes et de tortures gratuites, mais cet accès de violence m'a vraiment perturbé. Cependant cela permet d'ouvrir une réflexion intéressante sur la violence, ses accès soudains, de voir qu'elle peut être sans borne ; comment elle se matérialise sous prise de stupéfiants ; comment elle semble neutralisée et dénaturée par la présence d'un groupe, où chaque participant y voit l'occasion d'en remontrer aux autres, de s'imposer comme le leader... Même si, au premier abord, ce passage est difficile à digérer et métaboliser.

Mais! Il y a beaucoup d'intelligence dans ce livre, et Dimitri R-B est bien un écrivain!

Premièrement, la façon qu'il a de jouer avec les temporalités du récit. Cette façon si naturelle qu'il a de faire basculer le temps de l'audience vers ceux - déjà passés de plus de 2 ans (mais qui restent entièrement dans le présent!) -, des moments clefs conduisant du vol de l'American Express aux actions les plus abjectes. Très habile!

Deuxièmement, les questions-réponses entre la présidente exacerbée, au calme plein de sagesse, et les trois accusés qui, même s'ils essayent de garder la tête haute et le torse bien bombé, perdent toute contenance et toute substance devant les accusations horribles et terrifiantes qu'elle leur présente. Je trouve que ces échanges esquissent drôlement bien la personnalité des personnages, et toutes leurs insolentes contradictions. Et globalement les dialogues sont vraiment très bons. Ca m'a fait penser à ce que j'ai pu lire dans "Cinq dans tes yeux" de Hadrien Bels. On sent une vraie spontanéité, mais surtout une proximité avec la façon dont les gens parlent/causent en 2021. Ce n'est pas propret, c'est oral, ça fuse, c'est mélodique. On est dans de la joute constante, la moquerie, la taquinerie, et à qui aura le dernier (bon) mot. Gros point fort de ce texte!

Et en jetant un dernier coup d'oeil au livre, je (crois) comprends pourquoi cette oeuvre pour la couverture. Là j'y vois un visage de profil boursouflé, gonflé d'hématomes, la bouche tuméfiée à l'extrême, une fracture ouverte au nez, laissant apparaitre l'arête osseuse, du sang partout, des giclures, des traces, et, étrangement, un tracé au crayon autour de ce visage, comme pour marquer l'endroit où sera retrouvé le cadavre...

Pari réussi !
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