Citations sur Delacroix - Les Peintres Illustres, N°22 (9)
Tout en lui était énergique, mais énergie dérivant des nerfs et de la volonté; car, physiquement, il était frêle et délicat Le tigre, attentif à sa proie, a moins de lumière dans les yeux et de frémissements impatients dans les muscles que n'en laissait voir notre grand peintre, quand toute son âme était dardée sur une idée ou voulait s'emparer d'un rêve.
Ce voyage au Maroc devait avoir une grande influence sur la palette de Delacroix ; le fougueux coloriste qu’il était déjà, abandonna dès lors l’usage des bruns bitumineux et des vernis chauds, et peignit en pleine pâte lumineuse, avec les Femmes d'Alger dans leur appartement du Salon de 1834, il entre dans une phase absolument nouvelle, cette toile est traitée dans une luminosité éclatante que tempère une atmosphère gris d'argent.
Delacroix ne fut pas un enfant prodige; il ne montra pas dès ses jeunes années ces dispositions artistiques que les biographes posthumes se plaisent à trouver dans la vie des grands Maîtres; il montra du goût pour la musique; néanmoins, il faillit se lancer dans la carrière militaire même lorsqu'à l'âge de 17 ans il quitta le lycée impérial pour entrer dans l'atelier de Guérin; il ne songeait pas encore à se vouer entièrement à la peinture.
L'imagination de Delacroix! celle-là n'a jamais craint d'escalader les hauteurs difficiles de la religion; le Ciel lui appartient, comme l'enfer, comme la guerre, comme l'Olympe, comme la volupté. Voilà bien le type du peintre-poète! Il est bien un des rares élus, et l'étendue de son esprit comprend la religion dans son domaine. Son imagination, ardente comme les chapelles ardentes, brille de toutes les flammes et de toutes les pourpres, tout ce qu'il y a de douleur dans la passion le passionne; tout ce qu'il y a de splendeur dans l'Eglise l'illumine. Il verse tour à tour sur ses toiles inspirées, le sang, la lumière et les ténèbres.
Delacroix est le magicien de la couleur, son pinceau a des audaces extraordinaires; il sait faire chanter les rouges et les verts et les jaunes dans les harmonies antithétiques, il brutalise les effets, la vie apparaît chez lui torrentueuse, douée d'un mouvement incessant, les figures les plus calmes ont un frémissement intérieur.
Il a été méconnu de son vivant malgré les commandes officielles dont on l'a gratifié, il a été honni, conspué, critiqué, on a parlé de son Balai ivre, on lui a fait un crime d'être l'opposé de M. Ingres, d'être malgré lui-même le chef du romantisme.
Aujourd'hui, ces querelles sont éteintes, devenues des chapitres d'histoire qui nous intéressent certes, mais ne nous passionnent plus, la vérité s'est affirmée et celui qui avait été traité de révolutionnaire est devenu un classique, au sens noble et vénéré du mot.
DELACROIX est un des peintres français les plus justement renommés, il s'apparente dans l'histoire de l'art à Véronèse, à Rubens, à tous les génies de première grandeur dont les musées se glorifient.
La moralité de ses oeuvres, si toutefois il est permis de parler de la morale en peinture, porte aussi un caractère molochiste, visible. Tout, dans son oeuvre, n'est que désolation, massacres, incendies; tout porte témoignage contre l'éternelle et incorrigible barbarie de l'homme. Les villes incendiées et fumantes, les victimes égorgées, les enfants eux-mêmes jetés sous les pieds des chevaux ou sous le poignard des mères délirantes; tout cet oeuvre, dis-je, ressemble à un hymne terrible composé en l'honneur de la fatalité et de l'irrémédiable douleur.
La décoration du Salon du Roi qui occupa Delacroix de 1833 à 1848, fut le premier essai qu’il entreprit dans ce genre. Malgré les dispositions matérielles de la pièce complètement défavorables, il sut adapter sa composition à l’architecture ; huit grands personnages en grisaille pour les pilastres, une frise en tons de tapisserie, qui rejoint les huit panneaux du plafond.