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Critique de berni_29


Ayant refermé la dernière page de ce petit livre il y a quelques jours, les mots vibrent encore en moi, c'est comme une pierre que j'aurais lancée au fond d'un puits sombre et dont l'écho n'en finirait pas de remonter vers la lumière.
La jeune autrice s'appelle Juliette Rousseau. À partir de la mort de sa soeur ainée, emportée à l'âge de trente-trois ans par une leucémie, elle nous embarque dans une histoire familiale et en même temps universelle...
La vie têtue est un étrange et merveilleux livre, mélangeant plusieurs genres dans une harmonie parfaitement réussie, - autofiction, roman, poésie -, texte intime de surcroît dont j'ai senti à chaque page la trame personnelle qu'elle dénoue, qu'elle confie, mais toujours en ayant à coeur de faire résonner son propos avec une dimension plus large. J'y ai vu un texte politique au sens originel du terme, Juliette Rousseau nous parle ici de femmes. Comment être soeur, fille, mère dans notre société, dans la manière qu'a cette société, - disons-le encore un peu patriarcale, d'accueillir la vie, l'amour, la maternité, la mort et le deuil, comment le dire en étant femme ?
J'ai été touché par la grâce et la douleur de ce texte. C'est un texte qui mêle la vie à la mort, c'est-à-dire ce qui nous rassemble. C'est une parenthèse d'où parfois s'échappent des rires d'enfants.
Tout au long de ce texte, j'ai eu l'impression que l'autrice voulait me dire quelque chose, que la brutalité du monde nous serve à quelque chose, nous consume, et nous consumant nous permette d'aller plus loin...
La mort des proches n'est pas romantique, elle est parfois faite de lits médicalisés, avec des fils dans tous les sens comme des pelotes de laine éparpillées, des cathéters, des écrans où nous voyons des courbes traduire la vie, bouger puis ralentir... La mort des proches, celle qui approche, ce sont des gestes qui tremblent, des bouches ingurgitant, régurgitant...
Chaque page est un pas, une indignation. C'est un livre sans concession. Sans concession pour elle, pour sa famille, pour les autres, pour le monde, pour nous lecteurs aussi.
« Si tu avais pu habiter ton corps de cette façon, tu serais encore en vie. »
Il y a une colère affamée, insatiable... Elle tente avec les mots, avec ses mots, de faire tenir ensemble l'amour et les vents contraires, elle ose franchir l'enceinte sacralisée de la famille, clamer une parole forte et qui lui tient à coeur.
« Dire l'amour et les violences, les faire tenir ensemble. Ne renoncer à rien, ni à parler, ni à aimer. Voilà la véritable épreuve. »
On l'aura compris, la mort de sa soeur, le deuil après, mais forcément la maladie avant, son épreuve dont les plus proches ne ressortent jamais indemnes, a non seulement déclenché cette écriture mais aussi tout un processus de réflexion sur le monde, la façon de nous emparer, la façon qu'a Juliette Rousseau de s'en emparer en étant une femme.
Lorsque Juliette Rousseau dit « Je voudrais t'écrire un livre dont on entend les pages respirer lorsqu'on les tourne », j'ai vu venir à moi cette respiration qui soulevait les mots, soulevait les pages. J'ai senti cette respiration comme un battement d'ailes.
Aimer imparfaitement, mais sans relâche.
Celle qui manque est là dans ces pages de douceur et de douleur. Celle qui manque aurait-elle pris à son compte la douleur des autres pour mieux les protéger ?
Dans ses mots, j'ai reconnu une mère qui aime, étreint, envahit, agace, n'est pas toujours là quand il faut, l'inverse aussi, une mère qui blesse, mais qui pourtant continue de la bercer, elle l'autrice, une mère qui tient sa promesse de demeurer toujours là.
J'ai reconnu une soeur partie avant les autres... Qui laisse une béance en nous, à jamais...
« Je continue de me demander où, en moi, se cache le lieu depuis lequel elle n'est jamais revenue. »
Comment combler ce vide ?
Mais c'est aussi un livre de colère. La colère est peut-être une manière de survivre après ceux qui partent, tenir debout, mais aussi c'est une façon de continuer de parler à ceux qui sont là, nos semblables, nos proches, ceux de notre famille pour ne pas terrer les non-dits, les enfouir sous la terre...
C'est un texte pour s'en remettre à ce qui survit, cette absence qui survit parmi les décombres.
Par-delà la parole engagée, Juliette Rousseau nous pose un paysage réel, rural, celui de son enfance, fait de vieilles pierres, une forêt, des arbres qui veillent, le goût du printemps, les fruits de l'été et leurs odeurs.
C'est un texte sans répit où Juliette Rousseau vient chercher sa mère, plus que son père d'ailleurs... Elle se sent porteuse d'un lourd passé de violences patriarcales, elle explore les possibilités de survivre à cet héritage, elle vient déranger l'ordre immuable des choses...
Ici il est question de maternité, celle subie, celle choisie, l'oppression d'une domesticité imposée.
C'est un texte court, incisif, âpre et délicat, bouleversant, qui saisit à pleines mains les racines d'une histoire familiale et montre comment il est possible pour une enfant qui raconte cela plus tard alors qu'elle est devenue adulte, de continuer de grandir au-dessus d'un abîme.
J'ai aimé les chemins d'émancipation qui se dégage de ce récit, j'ai aimé les interstices qu'il continue de creuser pour nous offrir une part d'accueil.
J'ai pris ce texte en moi avec la puissance de sa douceur, de sa colère et de sa sororité, pour cela il m'a touché en plein coeur.
Forcément en lisant ce récit j'ai pensé à ma soeur préférée, partie avant les autres, j'entends encore la voix de ma mère à la fois effondrée et indignée dire que ce n'était pas dans l'ordre des choses, un enfant qui part avant ses parents...
« Les années qui ont suivi ta mort, je les ai attendues le coeur serré. Tant qu'elles reviennent, ta mort est une absence, mais pas une rupture. le retour des hirondelles, c'est la vie têtue. C'est toi ou moi à cinq ou six ans, qui tenons tête, ne lâchons pas. C'est toi qui n'es plus, et toi qui es encore là, différemment. Leur ballet facétieux au-dessus du petit étang, en bas du hameau, m'a ouvert le coeur comme personne d'autre. La joie des hirondelles au-dessus de l'eau, c'est toi qui ne m'as pas complètement quittée. Toi qui perdures, et toi qui gagnes, malgré la mort. le retour des hirondelles, c'est une place au monde pour mon coeur contradictoire, la possibilité de n'avoir pas à y démêler la joie de la tristesse. »
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